03.10.21 Lettre d’information d’octobre 2021

Disséquer les formes multiples des préjugés antisémites est une façon de les combattre. Plusieurs textes nous y invitent. Parmi les formes récentes, la trivialisation de la Shoah qui participe, selon certains chercheurs d’un « antisémitisme secondaire » et dont l’assimilation du passe sanitaire à l’étoile jaune, lors de récentes manifestations, constitue un avatar. A ce propos, Jonathan Preda analyse les stratégies discursives de l’extrême-droite après-guerre, l’instrumentalisation de la mémoire des victimes de la Seconde Guerre mondiale visant à l’inversion de la figure de la victime et du bourreau. C’est une forme d’antisémitisme beaucoup plus « archaïque » qu’explore Nicolas Masuez à propos d’une émission prétendument historique de la chaîne C News. Consacrée à la Pâques chrétienne, on y entend un père jésuite, manifestement ignorant du Concile de Vatican II, réitérer les accusations de « peuple déicide »… avec la bénédiction des présentateurs. Les préjugés à matrice chrétienne eurent des effets meurtriers jusqu’au vingtième siècle en Europe orientale nous rappelle Marie-Karine Schaub, à propos du roman d’Osvalds Zebris, À l’ombre de la Butte-aux-Coqs, une intrigue sur fond d’affaires de meurtres rituels et de pogroms. Fiction encore, mais sous forme de roman graphique, Rhapsodie en bleu, d’Andrea Serio, évoque, de manière accessible pour des élèves souligne Paola Bertilotti, la façon dont le destin des Juifs d’Italie bascula du fait de l’adoption des lois antisémites en 1938.

Si l’antisémitisme s’origine, dans une large mesure, dans une longue tradition religieuse avec ce que Jules Isaac appela l’enseignement du mépris, la colonisation joua un rôle essentiel dans la configuration du racisme à partir du XIXe siècle. C’est ce que nous rappelle, Salvatore Rigione dans l’étude consacrée aux premières formes de la mythologie raciste en Italie, apparues autour de l’Unité italienne avec les premières aventures coloniales. Comme le suggère son lecteur, Francesco Casales, ce racisme historique pourrait bien jouer le rôle de « cadavre dans le placard des politiques migratoires conduites dans l’Italie actuelle ». Familière des études sur la pensée raciale, Carole Reynaud Paligot, lue ici par Christine Mussard, interroge à son tour le lien entre racisme et colonisation à travers l’étude des politiques scolaires aux colonies, montrant que « la scolarisation contribue à fabriquer et à distinguer au sein du territoire français et de la République, des citoyens et des sujets ».

On trouvera aussi dans nos colonnes une information très riche sur l’histoire de l’antiracisme. Dans une perspective de longue durée, les écrits de Léon Chautard, socialiste, quarante-huitard, forçat évadé des bagnes de Guyane, et fervent abolitionniste, traduits et commentés par Michaël Roy, spécialiste des récits d’esclaves, nous transportent à une époque où les principes du socialisme rencontrent les luttes pour l’émancipation des esclaves. Comme le souligne son lecteur, Samuel Tracol, « À rebours d’une « histoire en miettes », c’est l’unité retrouvée du moment quarante-huitard qui constitue l’apport de l’ouvrage car Liberté et égalité des hommes ne sont pas dissociables pour Chautard ».

L’histoire de la lutte contre le racisme et l’antisémitisme est aussi jalonnée d’épisodes à forte portée symbolique, comme la gifle administrée par Beate Klarsfeld au chancelier Kurt Kiesinger en 1968. Examinant une photographie de l’événement, Sandrine Kott pointe les significations multiples de cette action, typique de la « méthode Klarsfeld » laquelle attira efficacement l’attention sur le présent du passé nazi dans la jeune RFA. A la même période, de l’autre côté de l’Atlantique, se déroule la lutte des Africains-Américains pour les droits civiques. Le livre important, récemment traduit en français, de Thomas C. Holt, propose une histoire par en bas du mouvement des Africains-Américains pour les droits civiques, une histoire qui ne se limite pas, précisément à des gestes bien connus, tel que celui de Rosa Parks, mais qui suscita aussi un répertoire d’action d’une très grand richesse à travers l’un des plus puissants mouvements de masse de l’histoire. Lecteur de ce futur « classique » de l’historiographie, Olivier Mahéo, explore également cette période cruciale de l’histoire des USA en nous invitant à lire le roman policier de Thomas Mullen, Minuit à Atlanta, lequel « permet ainsi de mettre au jour les tensions qui divisent la minorité africaine-américaine, tout en montrant la complexité des liens entre mobilisation pour les droits civiques dans le contexte de la Guerre froide.

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