25.08.23 Barvalo : Roms, Sinti, Gitans, Manouches, Voyageurs…, une exposition et un livre

Le Mucem accueille du mercredi 10 mai 2023 au lundi 4 septembre 2023 une exposition intitulée « Barvalo Roms, Sinti, Manouches, Gitans, Voyageurs… ».  L’exposition est accompagnée d’un livre coédité entre le MUCEM et les éditions Anamosa.

Réfléchir aux conséquences des choix muséographiques

Quand elle est constructive, la critique peut être fructueuse. La genèse de l’exposition Barvalo en est un bon exemple. L’idée de cette exposition est née après la réception d’un courrier de l’anthropologue Jonah Steinberg par la direction du MUCEM. Dans sa lettre, il leur faisait part de son regret face à l’absence de référence aux communautés romani dans les expositions permanentes du musée. En effet, le MUCEM, musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, avait oublié l’art et la culture romani et participait, à son corps défendant, à leur invisibilisation.      

Face à ce constat, les équipes du MUCEM ont pris le temps de la réflexion. Tout d’abord, elles se sont interrogées sur le rôle des institutions culturelles dans la construction de représentations stéréotypées et dévalorisantes des communautés dites (à tort) tziganes. Car, même avec les meilleures intentions, un regard extérieur peut parfois entraîner fétichisation et romantisation. Ensuite, le choix a été fait de mener un travail collectif et participatif, en collaboration avec l’European Roma Institute for Arts and Culture.

C’est un reproche qui a été fait à l’exposition Mondes tziganes au Musée national de l’histoire de l’immigration en 2018

L’ouvrage Barvalo qui accompagne l’exposition rend plus explicite la démarche préparatoire à l’exposition au MUCEM. Le MUCEM est un « musée de société », héritier direct du musée des Arts et traditions populaires, fondé à Paris, en 1937 par le muséologue Georges Henri Rivière.

Cette expression est apparue dans les années 1970 pour désigner les musées qui ne sont pas centrés sur les beaux-arts. Ces établissements culturels étaient initialement tournés vers le passé ou des civilisations extérieures.

Ce dernier s’était lancé, peut-être à la demande d’André Malraux, dans la constitution d’une collection sur les cultures romani. Dans une lettre de 1964 adressée à la société d’études tziganes, André Malraux appelait de ses vœux « la création d’un musée de tout ce qui touche les tziganes ». Aucun des acteurs mobilisés dans ce projet n’était de culture romani. Leur perception a pu favoriser une forme de fétichisation dans la constitution des collections renforçant les stéréotypes. Dans celles du MUCEM, après un inventaire minutieux, les équipes du musée ont identifié plus de 900 objets en lien avec les communautés romani, mais un grand nombre d’entre eux posaient problème, incorporant des stéréotypes, une représentation caricaturale voire un regard raciste. Ainsi, figurait dans les collections une cible de tir forain, datée de 1905, et indexée sous le titre « tête de gitane », sans spécifier le caractère illégal et répréhensible du geste induit.

Une des premières tâches a donc consisté à réindexer les collections : réattribuer les objets de manière correcte, mais aussi les mots clé. Par exemple, jouer de la musique n’est pas pratiquer la mendicité. Il n’est pas non plus exact d’utiliser le terme de « gitan » pour décrire un tableau où rien ne permet de distinguer ce groupe d’autres groupes romanis. Il ne s’agit pas de changer les légendes ou supprimer des informations, mais de contextualiser et de proposer des analyses et réflexions complémentaires. Cette réflexion sur le vocabulaire employé a été conduite de manière approfondie grâce à un séminaire chargé de trouver un consensus sur la dénomination des groupes romani. Auparavant, le terme utilisé dans les collections était le plus souvent celui de « Tzigane ». Les termes de Roma en anglais, et « population/groupes romani » en français sont désormais adoptés pour la base de données du MUCEM.

La réflexion s’est aussi prolongée sur le nécessaire enrichissement des collections, avec la commande et l’acquisition de créations et œuvres d’art créées par des Romani, de manière à appréhender aussi les enjeux contemporains. Ce travail a conduit à plusieurs terrains d’enquête en Europe et Méditerranée.

L’objectif de cette exposition et du catalogue qui l’accompagne est de mettre en valeur la diversité de la culture des populations romani : « Barvalo » voulant dire « riche » et par extension « fier » en langue romani. D’ailleurs, une place de choix est occupée par la langue romani dans l’exposition, et le livre qui l’accompagne est bilingue. Le fil conducteur est celui de la représentation des cultures romani dans leur diversité et leur complexité, avec la volonté de ne pas les réduire à un ensemble de clichés ou d’images fantasmées. Elle réunit 200 œuvres et documents issus de collections publiques et privées françaises et européennes. Parmi elles, soixante-deux proviennent des collections du MUCEM et quinze ont été spécialement conçues pour l’exposition et produites par le musée dont six sont des commandes à des artistes romani européens – Luna De Rosa (Italie), Gabi Jimenez et Marina Rosselle (France), Mitch Miller (Écosse), Emanuel Barica (Roumanie) et Delaine Lebas (Royaume-Uni).

Dans ce travail de création, il faut souligner la qualité des cartes sensibles produites avec Mitch Miller ou Elise Olmedo. Ces productions ont l’intérêt de dépasser la cartographie classique, en intégrant les émotions, qui sont au cœur des pratiques spatiales.


« Warekai/somewhere », carte sensible des itinéraires de la famille Zanko (fin du XIXe, début du XXe siècle). Photographie prise par l’auteur.

Détourner les stéréotypes

Dès l’entrée de l’exposition, la question de la langue est posée, conjuguée avec celle des identités. L’histoire des populations romani remonte à la fin du premier millénaire, quand celles-ci quittent l’Inde. C’est cette origine que Delaine Lebas, dans son œuvre Gypsy. The Elephant in the Room, interroge avec humour : quelle est la place des Romani dans le monde à cheval entre identité nationale et transnationale ?

S’en suit Entrelac – Arbre de la langue romani, une œuvre de Marina Rosselle, qui se présente comme un manifeste pour la beauté de l’idiome, dont le vocabulaire et la structure, porte les traces entre les XIe et XVe siècles des migrations, de l’Inde à l’Europe, en passant par l’Himalaya et le Caucase. Parallèlement à cette variation diachronique, une modulation synchronique est observable dans la langue romani : même si les variantes basques et galloises du romani ont quasiment disparu, les dizaines de dialectes montrent une vitalité et une distribution géographique impressionnante, dans une évolution constante. 

Au XVe siècle, des politiques d’exclusion ou de discrimination apparaissent dans toute l’Europe. La persécution des populations romani émerge en parallèle à la construction de lieux communs. En écho à ces clichés, une des salles de l’exposition nous fait réfléchir à la sexualisation des femmes romani. La Esmeralda, Carmen ou encore les pochettes de disque des chanteuses du quartier de Sulukule à Istanbul sont un rappel du stéréotype sexiste représentant une femme « bohémienne » à la beauté irrésistible qui, en vieillissant, se transforme en sorcière. Ce cliché subsiste dans les représentations contemporaines, comme le montrent certains objets exposés, affiches scolaires, Playmobils, en passant par une « Barbie gitane » hypersexualisée.

Mais la stigmatisation est allée beaucoup plus loin, en particulier en Europe centrale et orientale. Quand des documents attestent d’un commerce des esclaves roms dès le XVe siècle, l’exposition présente elle un document daté de 1706 : un acte de vente d’une femme « tzigane ». Ce mot désigne d’ailleurs non pas une ethnie, mais un statut social, celui d’esclave. Quant au tableau The Suppliants : expulsion of the Gypsies from Spain, exposé à côté, il permet de réfléchir à la manière dont les Romani ont été persécutés en Espagne sur la longue durée. Le tableau représente un groupe de personnes romani venues s’adresser au roi Philippe III d’Espagne (1578-1621). Entre 1499 et 1793, plus de 250 décrets ont été promulgués avec l’objectif d’imposer une assimilation complète qui a conduit à une perte culturelle (la langue en particulier), et à une marginalisation sociale et économique. 

 L’esclavage des Roms est aboli en 1855 en Roumanie, mais le contrôle policier et les idéologies raciales conduisent eux à des discriminations administratives jusqu’à présent. En France, l’instauration des carnets anthropométriques par la loi du 16 juillet 1912, avec des photographies judiciaires et prises d’empreintes, a visé à recenser, contrôler et ficher. Ce faisant, l’objectif était de surveiller des groupes d’individus jugés comme « asociaux » voire dangereux. En 1969, ces carnets ont été transformés en « livrets de circulation » et n’ont été abolis qu’en 2017. 

Vue de l’exposition présentant des carnets anthropométriques. Photographie prise par l’auteur.

Ce processus de discrimination est représenté par l’artiste italienne Luna de Rosa propose dans son œuvre The structure of Antigypsyism une organisation en rysomes et réseaux, où la figure de l’arbre représente l’antitziganisme dans sa dimension polymorphe. La période la plus tragique est sans doute celle du génocide commis par les nazis, appelé en langue romani Samudaripen (« meurtre de tous »), qui a provoqué la disparition totale des communautés dans un certain nombre de pays. 

Il reste cependant des zones d’oubli, comme les demandes de pardon qui sont arrivées tardivement (en 2016 en France). De même, les lieux d’internement et de persécution sont souvent négligés, tel le camp de Mulsanne, dans la Sarthe, actuellement recouvert par un golf. Le travail de la photographe Valérie Leray met en évidence la violence de cette dichotomie entre mémoire et oubli.

L’exposition ne fait pas que le choix d’évoquer les victimes, elle met la lumière aussi sur ceux qui ont résisté et sauvé des vies, à travers le portrait de cinq femmes et hommes, protagonistes de leur propre histoire. Les œuvres de Ceija Stocka participent de cette mémoire résistante. Rescapée de trois camps de concentration (Auschwitz-Birkenau, Ravensbrück, Bergen-Belsen), elle s’est mise à peindre en autodidacte à l’âge de 50 ans, et l’a fait jusqu’à sa mort, construisant une œuvre au témoignage puissant.

L’exposition nous montre, au-delà de la période de la guerre, que les populations romani se sont  battues pour leurs pays en promouvant des valeurs de justice, d’égalité et de démocratie, ainsi que pour leur liberté. L’œuvre Gypsy Warrior, de Kàlmàn Vàrady est là pour le rappeler, à travers une série de « guerriers », des figures aux allures de totems. 

Vue de l’exposition. Fin de la première partie sur l’antitziganisme contemporain. Photo prise par l’auteur.

La suite de l’exposition revient sur la variété des formes que prennent les combats et le militantisme romani dans l’Europe contemporaine : que ce soit en faveur de la structuration d’un mouvement transnational, des luttes féministes ou pour l’inclusion scolaire. Cette lutte reste nécessaire, dans un contexte européen où, sous des formes variées, l’antitziganisme demeure présent :  le rapport 2021 de la CNCDH rappelant que celui-ci est la première forme de racisme en France, et qu’il ne baisse pas. 

Grâce à des incrustations vidéo, le visiteur est guidé tout au long de l’exposition Barvalo par des « guides » romani. De nationalités et d’horizons variés, ces « guides » romani,  tels  des passeurs à travers leur expertise, leur analyse et leur ressenti donnent une vision incarnée de la culture romani.

Mais là où l’exposition est certainement  la plus forte, c’est quand elle propose d’inverser le regard. Les autrices et auteurs ont inventé une science ethnologique du non-romani, la « gadjologie »… Ou encore, l’artiste Gabi Jimenez a créé une installation qui, en quelques vitrines, montre par l’absurde qu’il est impossible d’appréhender une culture à travers la présentation de quelques artefacts. C’est très drôle, et l’objectif est atteint : nul autre choix que réfléchir à la manière dont les musées ethnographiques participent à la construction de représentations stéréotypées. L’exposition se termine sur une galerie des fiertés romani qui célèbre des figures et personnalités. Au-delà de la beauté de la langue, de la fierté d’appartenir à des groupes d’une grande richesse culturelle, l’exposition rappelle la puissance de l’art pour lutter et se représenter. Bravalo !

Voir le numéro de la Revue d’histoire de la Shoah de mars 2023.

Pour citer cet article

Jonathan Hiriart, « Barvalo : Roms, Sinti, Gitans, Manouches, Voyageurs…, une exposition et un livre », RevueAlarmer, mis en ligne le 29 août 2023, https://revue.alarmer.org/barvalo-roms-sinti-gitans-manouches-voyageurs-une-exposition-et-un-livre/

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