Une performance décolonisante : dé-construire, dé-ranger les images et les regards
En 2018, Rébecca Chaillon, autrice, metteuse en scène, performeuse, participait au volume, co-dirigé par Leïla Cukierman, Gerty Dambury et Françoise Vergès, Décolonisons les arts ! L’ouvrage, né du désir de faire connaître les objectifs et réflexions de l’association « Décoloniser les arts » (elle-même fondée en 2015) et de la volonté d’interroger le racisme et le sexisme dans le monde culturel et artistique, explorait les représentations des personnes qu’elles désignent comme « racisées » dans l’histoire et dans les arts autant que leur place et leur statut dans les institutions culturelles et artistiques. La contribution de Rébecca Chaillon, intitulée « En digestion », retraçait son parcours de performeuse d’origine martiniquaise et l’évolution de son rapport à son corps, qu’elle définit comme gros, sur scène. Le texte s’ouvrait sur le constat qu’il lui a d’abord « fallu être blanche. Théâtralement blanche. Ou plutôt théâtralement blanc. Au masculin », avant qu’elle ne décide de mettre en spectacle sa propre racisation pour dénoncer ce processus : « pour décoloniser son art, il faut se décoloniser soi-même. Repérer ce que la colonisation m’a fait ».
Rébecca Chaillon, « En digestion », Décolonisons les arts !, L’Arche, 2018, p. 20.
Carte noire nommée désir, écrit, mis en scène et performé par Rébecca Chaillon, avec sept autres performeuses afro-descendantes, s’inscrit dans le prolongement direct des réflexions de Décolonisons les arts ! Créé en novembre 2021 au CDN Nancy-Lorraine, joué depuis en tournée, il a été remarqué l’été dernier au Festival d’Avignon où il fit parler de lui (à la fois du fait de réactions violemment agressives de spectatrices et spectateurs dans le public et aussi du fait de l’accusation faite au spectacle par la droite extrême de tenir un discours « raciste anti-blanc ». Joué en tournée à travers la France, en Suisse, en Allemagne et en Belgique, le spectacle est actuellement à l’affiche au Théâtre de l’Odéon (ateliers Berthier), avant de partir au Havre en février, puis à Malakoff en avril. Dans un double mouvement qui consiste à la fois à dénoncer des clichés, des stéréotypes et des discriminations hérités de l’héritage colonial et à se réapproprier certaines de ces images, à leur donner une force et un pouvoir d’agentivité, le spectacle se présente comme une performance décolonisante au sens où il dénoncerait la construction des corps par l’héritage colonial et mettrait en œuvre un processus de décolonisation des regards, des représentations et des corps. La stratégie – théâtrale, dramaturgique, scénographique – sur laquelle repose ce double mouvement de dénonciation du regard et de réappropriation du corps est celle d’une dé-construction dont la première étape consiste à exhiber la construction des clichés et stéréotypes attachés au corps noir féminin pour ensuite la dé-monter en dé-rangeant et dé-placeant les représentations et les positionnements. La stratégie est celle d’un « trouble dans le genre et dans la race », c’est-à-dire qu’il s’agit de mettre du trouble dans les processus d’assignation genrée et raciale des corps noirs féminins dans l’héritage occidental de l’esclavage et de la colonisation.
Je remercie Clotilde Thouret, qui m’a la première signalé ce spectacle quand elle l’a vu à Nancy, pour nos échanges et discussions qui ont nourri ce texte.
Pour détourner l’expression titre de l’ouvrage de Judith Butler, Gender Trouble, New York, Routledge, 1990.
Du trouble dans l’assignation des corps féminins noirs
Le spectacle commence sur une scène où tout est blanc et où une femme noire au corps imposant, vêtue de blanc et dont même la peau est blanchie par une couche de crème blanche, récure le sol, longuement. Sa bouche est blanchie aussi et même les pupilles de ses yeux sont entièrement blanches, produisant un étrange regard vide. Elle est à quatre pattes, dans une position humiliante, elle tombe même parfois à plat ventre, se retourne, rampe, mais n’est jamais vue en position debout. Et elle lave, lave encore avec une éponge et à grande eau, dans une forte odeur d’eau de javel. Elle se déshabille pour utiliser ses vêtements comme serpillère, jusqu’à sa culotte avec laquelle elle continue à nettoyer et blanchir ce sol. Jamais elle ne se relève, même pour se déshabiller ; elle se contorsionne, roulant du ventre au dos ou vice-versa, toujours au sol. Le public regarde donc une femme de ménage noire : c’est long, c’est lent, c’est répétitif, c’est pénible, pour la femme sur scène, qui essuie la transpiration sur son front, comme pour le public. Et puis, cette femme se lave elle-même, c’est son propre corps qu’elle blanchit, qu’elle frotte, qu’elle passe à l’eau de javel, sale puisque déjà utilisée pour le sol, dans ce qui peut ressembler à une tentative de javellisation et de blanchissement d’un corps déjà enduit de blanc. S’agit-il de rendre ce corps « plus blanc que blanc » en le récurant ? Dès l’ouverture de la pièce, est donc ainsi mise en scène une situation de domination, à la fois raciale (une Noire travaille pour des Blancs) et genrée (une femme noire fait le ménage et devant des Blancs), qui est intégrée par la dominée elle-même au point qu’elle cherche à se blanchir.
La scène initiale créée le trouble et met le public mal à l’aise. Seul le bruit de l’effort de la femme se fait entendre et la répétition du geste fait ressentir aux spectateurs et spectatrices la pénibilité de la tâche. La scène perturbe, d’une part, car elle les oblige à regarder, très longuement et sans aucune autre « action » sur scène, la situation de domination et de pénibilité du travail. Elle les oblige aussi à se percevoir, comme « Blanches » ou « Blancs », regardant le spectacle de la situation de domination et d’exploitation de la femme noire. D’autre part, et dans le même temps, la scène introduit un certain trouble dans le strict rapport d’exploitation du travail de la femme noire au profit des Blancs, puisque la comédienne-performeuse – Rébecca Chaillon elle-même, en l’occurrence – se dénude au cours de son travail, exhibe son corps nu avec un plaisir affiché, défiant de ses yeux blancs et vides le public qu’elle regarde fixement, en s’amusant de la gêne qu’elle est susceptible de provoquer.
Or, la scène de domination raciale et genrée, qui renvoie à l’héritage colonial, se transforme lentement en vaste rite purificateur, qui renvoie, lui, à la réappropriation d’une « négritude » au sens qu’Aimé Césaire donnait au terme dans son Cahier d’un retour au pays natal. Une deuxième performeuse qui, pendant toute cette scène de récurage du sol par Rébecca Chaillon, s’activait silencieusement à faire des poteries sur le côté de la scène, vient relever la première performeuse, l’aider à se mettre en position debout. Elle l’installe ensuite en position assise pour lui laver doucement, au savon, le corps. Les deux femmes sont ainsi assignées aux fonctions du care, la première comme femme de ménage et la seconde en « prenant soin » de la première. Avec douceur et délicatesse en même temps que fermeté, à l’eau propre, elle débarrasse ce corps de sa crème blanche et l’adoucit avec de la crème dans une opération de réparation qui est aussi une forme de purification, dans la mesure où l’eau propre remplace l’eau sale et où il s’agit de « purifier » le corps noir de ses velléités de blanchissement. Rejointe par six autres performeuses, elles coiffent longuement et lentement les cheveux de la première, transformant la femme de ménage en déesse aux très longues tresses – déesse africaine aux cheveux tressés ou Méduse fascinante et puissante. La dimension symbolique de la scène est explicite et même lourdement explicite : l’ambition est de montrer et dénoncer l’assignation genrée et racisée (femme noire = femme de ménage exploitée) et la retourner en force de vie et en puissance (de la nature ou de la déesse). Qui plus est, ces tresses, longues et lourdes, dont le poids pèse sur le corps de la performeuse, qui les traîne et les tire pendant une grande partie du spectacle, s’allègent dans le tableau final pour devenir fils de suspension et fils reliant en réseau tout une généalogie de femmes.
« Ma négritude n’est pas une pierre, sa surdité ruée contre la clameur du jour/ ma négritude n’est pas une taie d’eau morte sur l’œil mort de la terre/ ma négritude n’est ni une tour ni une cathédrale/ elle plonge dans la chair rouge du sol/ elle plonge dans la chair ardente du ciel/ elle troue l’accablement opaque de sa droite patience ».
Méduse à la chevelure de serpents, qui dans la mythologie épouvante et paralyse, devient, dans la littérature féministe occidentale des années 1970 et sous la plume d’Hélène Cixous, symbole de puissance et de force de résistance féminine (« Le rire de la Méduse », L’Arc, 1975).
On pourra dire que c’est long, pénible à regarder, très didactique dans une dimension symbolique exagérément soulignée. C’est clairement voulu ainsi et c’est efficace. En outre, la scène finale est plastiquement belle.
Du trouble dans les regards et dans les positions
Au-delà de la déconstruction et du renversement de cette assignation de la femme noire à l’emploi subalterne, le spectacle vise à la fois à déconstruire un ensemble de clichés et d’images fantasmatiques attachés aux corps des femmes noires, à déconstruire, donc, le regard que l’Occident blanc a porté sur la femme noire, son corps et sa sexualité, et en même temps à dé-ranger les positions des spectateurs et spectatrices, les conduisant par là à s’interroger sur leur propre positionnement.
Le spectacle est construit sous la forme d’une succession de sketches, parodiques, grotesques, et même carnavalesques dans leur dimension scatologique pour certains. De la femme de ménage en passant par la « nounou noire » maternante jusqu’à la danseuse au corps hypersexualisé, les stéréotypes sur la femme noire sont ainsi passés à la moulinette de la parodie et de l’excès grotesque. C’est ainsi que l’image de la « nounou noire » est dé-construite. Sur scène, une nourrice souriante, porte sur son ventre des poupons blancs et sur son dos des poupons noirs qui arrivent d’accouchements répétés, tous embrochés sur deux longues piques (l’une ventrale l’autre dorsale). Au second plan de la scène, plusieurs performeuses évoquent les discours des parents (blancs) sur leurs « nounous ». La construction scénique déjoue ainsi avec ironie le cliché de la tendre et maternelle nounou noire et dénonce ces parents blancs (présents dans la salle ?) qui se déchargent de leurs bambins sur des femmes noires sous-payées. Plus tard dans la soirée, c’est le fantasme de la danseuse noire à la beauté exotique hypersexualisée qui est mis à mal dans une danse façon Joséphine Baker dans la « Danse sauvage », numéro qui fit son succès dans la Revue nègre au Théâtre des Champs-Elysées à partir de 1925. Joséphine Baker reprenait, sans en être dupe, une vision stéréotypée et colonialiste du corps noir, qu’elle mettait discrètement à distance par les grimaces et les excès. Ici, la danse est performée sur « Try to remember », chanson interprétée en 1962 par Harry Belafonte, militant des droits civiques aux Etats-Unis, et qui constituait la bande sonore de la publicité du café « Carte noire » dans les années 1990, publicité qui donne son titre au spectacle. Jouant avec le cliché sur lequel repose souvent les publicités, de l’association entre couleur de peau noire et érotisme (« Carte noire, un café nommé désir »), les corps féminins noirs des performeuses, dénudés et ronds, s’agitent sur la scène au son de la musique de la publicité, ne cherchant pas à susciter le désir.
La scène, qui a été modifiée depuis les précédentes représentations (la « nounou noire » ne portait qu’une seule longue pique, avec des poupons blancs), a valu à Rebecca Chaillon un déferlement d’accusations de « racisme anti-blanc » sur les réseaux sociaux à l’occasion des représentations du spectacle au festival d’Avignon en juillet 2023. En conséquence des insultes et des agressions qu’elle a subies, l’actrice qui performait initialement cette scène s’est retirée et ne participe pas aux représentations aux ateliers Berthier, ce qu’explique d’ailleurs Rébecca Chaillon sur scène.
Certains sketches fonctionnent mieux que d’autres, certains paraîtront d’une longueur excessive (notamment la scène de repas scatologique et jubilatoire ou encore le « jeu » des deux équipes qui doivent faire deviner des expressions, exhibées ainsi pour leur racisme), de sorte que l’ensemble est loin d’avoir toujours la même force. Si la construction du spectacle – sous forme de juxtaposition de scènes, hétéroclites et décousues, parodiques, grotesques, à l’humour parfois potache –, qui est un choix assumé, produit ces alternances de temps forts et de moments qui le sont beaucoup moins, c’est non seulement parce que certaines saynètes pèchent par leur longueur ou sont tout simplement moins drôles que d’autres, mais c’est aussi parce que certaines tendent à mettre sur le même plan (de la parodie, de l’excès, du grotesque) ce qui relève effectivement d’un usage de la langue producteur de stéréotypes racistes et racialisant (les « bons mots » du type « caca meroun » qui circulent lors du repas scatologique ou la « tête de nègre » et le « syndrome méditerranéen » du « jeu de devinettes », par exemple) et ce qu’il semble plus douteux de rapporter à un imaginaire raciste (les « caca-houètes » du repas, « la Mer noire » des devinettes). Qui plus est, si le spectacle se veut une déconstruction d’images et de fantasmes sur les corps de femmes noires et si, de fait, il déconstruit bon nombre de stéréotypes, c’est bien parce que ces images et stéréotypes sont des constructions (que l’on peut donc dé-construire comme telles). De telles constructions ont une histoire, s’inscrivent dans l’Histoire et s’éclairent par cette histoire, dans leur force de dénigrement comme de retournement du stigmate. Le choix de la performance et du travail sur une succession d’images tend malheureusement à déshistoriciser ce qui prend sens dans l’Histoire. Il part du postulat que ces stéréotypes ont été conservés et sont restés inchangés jusqu’à aujourd’hui, là où l’on pourrait souligner que, bien au contraire, leur charge sémantique évolue dans le temps (et varie selon les espaces).
Plus – et mieux – que ces images et ces représentations du corps féminin noir, ce sont des rapports de domination inscrits dans les positions occupées par le public dans l’espace du théâtre que le spectacle interroge et dé-range. A l’entrée dans la salle, un message explique que l’espace de la représentation est construit selon un dispositif bi-frontal. Les femmes noires, métisses et afro-descendantes du public sont invitées à s’installer sur les canapés installés pour elles de l’autre côté du plateau scénique par rapport aux gradins. Une telle séparation, selon des critères de couleur de peau, si elle évoque l’histoire de la ségrégation et de l’apartheid, cherche à déstabiliser le public, ce dont témoignent les réactions pas toujours très positives, y compris celles de féministes s’offusquant que soit reproduite une ségrégation que le spectacle vise à dénoncer. Le public est troublé parce que renvoyé aux pratiques de ségrégation raciale et de non-mixité. Mais en invitant les femmes noires du public à s’installer confortablement sur la scène, Rébecca Chaillon veut surtout inverser le rapport historique de domination et fait des femmes noires des spectatrices privilégiées, à la manière dont les Nobles, en tant que classe sociale privilégiée, étaient placés dans des fauteuils sur la scène à l’époque de Molière. Est ainsi renversé en privilège des femmes noires ce que serait le « privilège blanc », historiquement construit et qui constitue la position du public dans sa grande majorité – blanc, bourgeois et qui se sent parfaitement légitime à être dans la salle de théâtre. Le dispositif scénique, avec ses deux publics, interroge la position qu’occupe chaque spectatrice et chaque spectateur, la façon dont il ou elle se situe par rapport au spectacle et la nature du regard qu’un tel positionnement induit. En cela, en mettant les femmes noires en position de privilège, la mise en scène de Chaillon interroge les points de vue et positions à partir desquels le spectacle est reçu. Une telle interrogation renvoie à ce que les féministes post- et décoloniales ont, depuis les travaux de Sandra Harding sur le positionnement de la recherche (standpoint) et ceux de Donna Haraway sur les « savoirs situés » (situated knowledges), appelé le « point de vue situé » : le regard n’est jamais neutre, il est toujours situé spatialement et socialement, toujours pris dans des rapports de pouvoir, rapports qui caractérisent le contexte et la situation dont il émane. Il ne s’agit pas tant de reproduire une ségrégation inversée que de donner à réfléchir sur le positionnement de chacune, chacun.
Performance et performativité du genre et de la race
Carte noire s’inscrit dans une histoire de la performance décoloniale, une histoire de la résistance des Noirs et des Noires par la performance – la danse, le jeu, le spectacle. Dès l’époque de l’esclavage, la performance a fonctionné comme espace de résistance, comme « marronnage » : les esclaves sur les plantations dansaient et performaient pour répondre à une injonction des maîtres de les divertir tout en utilisant la performance comme moyen de se moquer des maîtres et de dénoncer leur violence. A partir de la première moitié du XIXe siècle, l’imitation par des Blancs de ces performances et leur caricature en blackface a constitué une désappropriation culturelle. Si le geste créateur de résistance « marronne » qui a présidé aux performances noires sur les plantations des Amériques se retrouve au début du XXe siècle dans le blues ou le jazz, Carte noire nommée désir s’inscrit dans cet héritage de réappropriation culturelle (héritage que l’on retrouve aussi et entre autres, dès les années 1990 dans les performances de la plasticienne américaine Renee Cox, dans celles de la performeuse sud-africaine Tracey Rose ou plus récemment aujourd’hui de la danseuse chorégraphe performeuse Latifa Laâbissi qui travaille elle aussi sur le corps et sa nudité).
Voir les travaux de Sylvie Chalaye, historienne des représentations de l’Afrique et du monde noir dans les arts du spectacle, sur le rapport entre performance et marronnage, en particulier son article « Performance décoloniale : un geste marron » (Théâtre/ Public. Face à l’histoire coloniale, n°246, janvier 2023).
A l’instar de Thomas Rice avec Jim Crow (1828), des spectacles de blackface ou des minstrel shows, qui ont fleuri tout au long du XIXe siècle.
La spécificité d’un tel héritage et de la performance théâtrale que constitue Carte noire nommée désir est de faire apparaître, par la performance, « la dimension performative du genre et de la race ». En parlant de « dimension performative du genre et de la race » je reprends à Judith Butler son emploi, dans Trouble dans le genre, du concept de performativité du genre pour l’élargir également à la race. Le « trouble » qu’introduit Carte noire nommée désir dans les représentations, dans les regards et dans les positionnements, met en lumière, dans le prolongement des analyses de Butler et par la performance, la performativité du genre et de la race. La force performative de la femme de ménage noire, de la nourrice noire ou de la danseuse noire exotique hypersexualisée tient à ce que le jeu théâtral fait et défait ces identités genrées et racisées, les exhibe dans leur construction en les mettant à distance, les retourne (la femme de ménage devient déesse, la tendre nounou devient possiblement cannibale, la danseuse exotique devient sujet d’une transe frénétique).
Voir Judith Buthler, Gender Trouble, New York, Routledge, 1990. Traduit sous le titre Trouble dans le genre. Le féminisme et la subversion de l’identité, Paris, La Découverte, 2006.
Carte noire nommée désir, performance supposément décolonisante de Rébecca Chaillon, avec ses moments forts et ses longueurs, ses coups de poings et ses scènes potaches, bouscule le public en interrogeant son positionnement et son regard sur les corps féminins noirs. L’engagement de leur corps, dans sa nudité, par les performeuses vise à le libérer des carcans, des clichés et stéréotypes qui l’ont forgé dans l’héritage de la colonisation dans un geste qui renverse la domination en agentivité et puissance. Rébecca Chaillon définit elle-même ce geste, de façon certes assez vague, mais qui introduit une dimension sacrificielle (presque christique) dans cette prise en charge de la violence de l’héritage colonial : « Performer, mettre mon corps en sacrifice, me laisser traverser par une audience pour qu’elle se raconte ses histoires à travers mes clichés, ceux qui ont construit ma vie. Que j’ai cherché à y coller ou à m’en éloigner. M’exposer frontalement, fragilement et raconter mon intime à un public majoritairement blanc. Un danger ou une prise de pouvoir ? J’opte pour la deuxième proposition, de toute évidence. Je me réapproprie la violence, je la fais mienne, j’exerce un pouvoir sur elle en la filtrant et en la sublimant » (« En digestion » dans Décolonisons les arts !, p. 21). Prendre en charge les souffrances et discriminations comme le Christ les péchés…. mais quant à leur rédemption ? A voir…
Pour citer cet article
Anne Tomiche, « Carte noire nommée désir , une pièce de Rébecca Chaillon », RevueAlarmer, mis en ligne le 6 décémbre 2023, https://revue.alarmer.org/carte-noire-nommee-desir-une-piece-de-rebecca-chaillon/