Retranscription de la source commentée
MM. De la chambre du commerce au Havre Paris le 11 7bre 1789
Messieurs,
Nous avons reçu la lettre que vous nous avez fait l’honneur de nous écrire le 5 de ce mois ; vous avez senti comme nous la nécessité de la coalition du commerce de France, et des habitans de St Domingue.
Nous pensons avec vous qu’il est nécessaire que les colons s’entendent avec les commerçants, mais qu’il y a sur cela des détails qui demandent beaucoup plus d’examen, et de loisir que nous n’en pouvons respectivement donner dans l’instant présent.
Nous ne pouvons quant à présent à cause des circonstances qui ne nous en laissent pas le loisir, répondre en détail sur un objet aussi vaste.
Nous vous prions d’agréer tous nos remercimens pour les soins que vous a dicté votre prudence, et la nécessité des choses pour empêcher le retour des gens de couleur aux isles ; nous allons joindre nos sollicitations à celles de MM. vos députés à Versailles, pour intéresser Mr de la Luzerne à concourir autant qu’il sera en lui à notre satisfaction commune.
Monsieur de la Luzerne était secrétaire d’État à la Marine.
Nous vous invitons très instamment de continuer sur cela votre surveillance, et nous avons du plaisir à vous annoncer que les places de Bordeaux, et de Nantes vous imitent avec soin.
Recevez nos remercimens, et croyez nous bien sincèrement
Messieurs Vos très humbles serviteurs
Les membres D.l.S.c.d.c.f [De la Société correspondante des colons français]
Source : Arch. nat., D/XXV/85, Lettre de la Société correspondante des colons français à la Chambre de commerce du Havre, 11 septembre 1789
Empêcher l’embarcation des « gens de couleur » vers les colonies
Ce document est la copie d’une lettre envoyée par les membres de la Société correspondante des colons français, plus connue sous le nom de « club de Massiac » ou « club Massiac », du nom de l’hôtel de Massiac dans lequel la société tenait ses réunions et qui appartenait à Louis-Claude-René de Mordant, marquis de Massiac, l’un des membres du club. La lettre est adressée à la Chambre de commerce du Havre le 11 septembre 1789. Elle s’insère dans une correspondance fournie initiée le 27 août par les membres de ce club dans le but de sceller une alliance avec plusieurs ports de commerce (Le Havre, Bordeaux, La Rochelle, Nantes, Saint-Malo…). Pour les colons, la priorité de ce rapprochement est une entente, à l’insu de l’Assemblée nationale, pour interdire l’embarcation des « gens de couleur » libres ou des esclaves qui souhaitaient rejoindre les colonies antillaises, en particulier Saint-Domingue, par crainte de la circulation des idées révolutionnaires. Une lettre similaire est aussi envoyée à Nantes le même jour.
Se rapporte ici à la pratique épistolaire qui constituait l’essentiel des activités de la société à sa création.
1789, les colons domingois en révolution
Précisons cependant que les membres de cette société étaient majoritairement des bourgeois.
Au moment où éclate la Révolution française, la colonie de Saint-Domingue est peuplée d’environ 500 000 esclaves et 70 000 libres. La population libre de la colonie s’étant peu à peu métissée au XVIIIe siècle, près de la moitié sont des « gens de couleur » libres, des personnes d’ascendance africaine nées libres ou affranchies.
Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, l’économie et la population de Saint-Domingue se développèrent de façon exceptionnelle. Le système de discrimination visant les libres de couleur, nommé par les contemporains « préjugé » ou « préjugé de couleur », s’intensifia à la même période. Une série de mesures, parmi lesquelles l’interdiction du port d’armes, l’exercice de certaines professions, de charges militaires ou encore la promulgation d’une loi somptuaire (réglementation vestimentaire) allaient peu à peu restreindre leurs droits. Synthèse de sa description de la société de Saint-Domingue, le tableau de 128 catégories raciales issues du croisement d’un homme blanc et d’une femme de couleur ayant jusqu’à six degrés de métissage, dressé par le juriste antillais Médéric-Louis-Élie Moreau de Saint-Méry, commissaire éphémère du club Massiac, trahissait l’obsession raciale des élites coloniales.
La catégorisation raciale apparut en réalité plus limitée, quelques catégories furent utilisées dans la colonie au cours du XVIIIe siècle. La catégorie de « blanc », rarement nommée dans les actes, s’était imposée dans les colonies esclavagistes atlantiques à la fin du XVIIe siècle pour désigner les Européens et servit à la construction d’un ordre social et juridique colonial. À Saint-Domingue, à partir des années 1760, les créoles (personnes nées dans les colonies) d’ascendance européenne s’en saisissent pour naturaliser leur lien avec les métropolitains et leur « patriotisme » vis-à-vis de la métropole, tout en prenant leur distance localement des libres de couleur.
Cette notion de « préjugé » était utilisée par tous les protagonistes, ceux qui justifiaient ce racisme comme ceux qui le dénonçaient.
Dominique Rogers, « Raciser la société : un projet administratif pour une société domingoise complexe (1760-1791) », Journal de la société des américanistes [En ligne], 99-2, 2009, p. 239-260.
Cécile Vidal, « L’ordre de la race dans les mondes atlantiques, XVe-XVIIIe siècle », in Paulin Ismard (dir.), Les Mondes de l’esclavage. Une histoire comparée, Paris, Seuil, 2021, p. 923-939.
Dominique Rogers, « Raciser la société : un projet administratif pour une société domingoise complexe (1760-1791) », art. cit.
Frédéric Régent, « La fabrication des Blancs dans les colonies françaises », in Sylvie Laurent et Thierry Leclère (dir.), De quelle couleur sont les Blancs ? Des « petits Blancs » des colonies au « racisme anti-Blancs », Paris, La Découverte, 2013, p. 67-75.
John D. Garrigus, Before Haiti: Race and Citizenship in French Saint-Domingue, New York, Palgrave Macmillan, 2006.
Au début de l’année 1789, malgré le refus royal d’une représentation coloniale aux États généraux, des élections furent organisées à Saint-Domingue pour élire des députés. Les libres de couleur n’ayant pas été autorisés à exprimer leur suffrage, seuls des colons blancs y participèrent. Six de ces députés de Saint-Domingue furent admis à l’Assemblée nationale, au terme de longs débats, le 4 juillet 1789.
Créé à Paris le 20 août 1789 par d’autres colons blancs de Saint-Domingue hostiles à cette représentation coloniale à l’Assemblée, le club Massiac se donnait pour objectif, à la manière d’un groupe de pression, d’étouffer ou d’influencer les débats parlementaires et publics pour contrer les idées abolitionnistes alors portées par la Société des Amis des Noirs, fondée en 1788. Deux sociétés alliées du club Massiac furent rapidement formées par des colons-négociants, à Bordeaux puis à La Rochelle. Tous ces colons appartenaient à la classe des riches propriétaires esclavagistes « grands-blancs » qui constituaient l’élite économique coloniale, une minorité de quelques milliers de personnes dont une partie résidait régulièrement en métropole. Quelques jours seulement après la création du club Massiac, des libres de couleur originaires de Saint-Domingue et des Petites Antilles, aisés pour la plupart, se regroupèrent à Paris au sein de la Société des citoyens de couleur ou « colons américains » pour dénoncer les discriminations qu’ils subissaient dans les colonies. Ils furent soutenus dans leur combat par plusieurs membres de la Société des Amis des Noirs, qui militaient principalement pour l’abolition de la traite, tout en envisageant la possibilité d’une « abolition graduelle » de l’esclavage.
Déborah Liebart, « Un groupe de pression contre-révolutionnaire : le club Massiac sous la Constituante », Annales historiques de la Révolution française, n° 354, 2008, p. 29-50.
Cette distinction entre « petits » et « grands » blancs fut inventée et diffusée par les esclaves. Les « petits-blancs » formaient un ensemble de classes sociales hétérogènes regroupant aussi bien le personnel d’encadrement des plantations, les petits commerçants, les propriétaires de maisons urbaines que les « gens sans état et sans aveu ».
Contenir le processus révolutionnaire en métropole
Au mois d’août 1789, le secrétaire d’État de la Marine César-Henri de La Luzerne, ancien gouverneur de Saint-Domingue, se rapprocha des colons blancs de métropole afin qu’ils « suppléassent à l’impuissance actuelle du gouvernement » en ne ramenant pas leurs esclaves dans les colonies. Le club Massiac nouvellement formé élargit cette préconisation aux « mulâtres » et « gens de couleur ». Il activa un réseau de surveillance et d’informateurs dans les villes portuaires avec le soutien de députés extraordinaires du commerce (une représentation spéciale envoyée par les Chambres de commerce pour défendre les intérêts du commerce maritime auprès de l’Assemblée nationale), de négociants et d’armateurs, et la complicité du ministre La Luzerne. Les rembarquements prévus par la Déclaration pour la police des Noirs furent suspendus par le ministre. Au début de la Révolution, le contrôle des esclaves et des libres de couleur en métropole était donc officieusement délégué par le ministre aux colons blancs et au négoce des villes portuaires.
Pierre H. Boulle, Sue Peabody, Le droit des Noirs en France au temps de l’esclavage, Paris, L’Harmattan, 2014, p. 130.
L’alliance du club Massiac avec le grand commerce, alors particulièrement actif dans la traite transatlantique, était une condition nécessaire à l’organisation de cette surveillance. Les Chambres de commerce lui offraient plusieurs points d’ancrage dans des places métropolitaines stratégiques et au sein même de l’Assemblée nationale. En dépit des divergences politiques qui les animaient, notamment sur l’Exclusif, les colons du club Massiac, le négoce colonial et les députés de Saint-Domingue agirent ici de concert. Les archives en témoignent, à demi-mot bien souvent. Ici, deux phrases de remerciements dans lesquelles la « prudence » et la « nécessité des choses » tiennent lieu d’explication, l’essentiel des motifs et des informations se transmettant lors d’échanges non consignés. En effet, si ces mesures discriminatoires étaient bel et bien encouragées par le ministre en métropole, le gouverneur et l’intendant à Saint-Domingue ainsi que les assemblées coloniales, elles devenaient illégales au regard de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, votée le 26 août 1789, dont l’Article premier avait suscité la vive inquiétude des colons blancs.
Le principe de l’Exclusif, qui garantissait un monopole du commerce colonial au profit de la métropole, était une source de conflit entre le commerce métropolitain et de nombreux colons qui cherchaient à contourner ce système. Voir à ce sujet Manuel Covo, « L’Assemblée constituante face à l’Exclusif colonial », in Frédéric Régent, Jean-François Niort, Pierre Serna (dir.), Les Colonies, la Révolution française, la Loi, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014, p. 69-92.
Le contrôle accru (allant jusqu’à l’espionnage) des libres de couleur fut alimenté par des rumeurs volontairement alarmistes diffusées de part et d’autre de l’Atlantique. Vincent Ogé, libre de couleur du nord de Saint-Domingue, en devint l’une des victimes. Négociant du Cap-Français et copropriétaire par sa mère d’une caféière, Ogé s’était rendu en France en 1788 pour régler une affaire judiciaire. Le 7 septembre 1789, il se présenta aux colons du club Massiac, comme l’avait fait avant lui Julien Raimond, libre de couleur du sud de la colonie. Il sollicita une alliance avec les colons blancs et suggéra l’élaboration d’un règlement de police pour les esclaves de métropole. L’objet principal de son exposé concernait cependant un plan d’affranchissement des esclaves qu’il se proposait de préparer dans le but de prévenir de futures révoltes. Le club ne donna pas suite aux propositions d’Ogé, mais contrôla dès lors ses déplacements et ses actions. Cette surveillance s’intensifia au début de l’année 1790. La possibilité de son retour dans la colonie fut redoutée et les ports mis en alerte. Des informateurs affirmèrent qu’il supervisait au Havre un transport d’armes pour Saint-Domingue. Bien que démentie par le négoce havrais, cette annonce fut communiquée à Saint-Domingue, de même que le portrait d’Ogé, envoyé dans les trois provinces de la colonie.
Sur le parcours de Julien Raimond voir John D. Garrigus, Before Haiti: Race and Citizenship in French Saint-Domingue, New York, Palgrave Macmillan, 2006 et Florence Gauthier, L’Aristocratie de l’épiderme. Le combat de la Société des Citoyens de Couleur, 1789-1791, Paris, CNRS, 2007.
Maintenir l’ordre racial esclavagiste
Officiellement, les membres du club Massiac assuraient que leur société n’avait « aucun caractère légal » pour débattre des droits des libres de couleur dans la colonie. Cette question était, selon eux, de la seule compétence d’une assemblée coloniale… exclusivement composée de colons blancs. Ce raisonnement circulaire fut avancé pour refuser tout rapprochement avec les libres de couleur domingois Vincent Ogé et Julien Raimond, puis avec la Société des citoyens de couleur (qu’ils allaient tous deux rejoindre). En rejetant tout principe d’égalité entre libres blancs et de couleur, le club Massiac sacrifiait une alliance des libres basée sur des intérêts économiques convergents. Le « suprémacisme blanc », sur lequel reposait la pérennité du système esclavagiste, l’emporta sur les distinctions économiques qui fondaient alors la citoyenneté active en métropole. Les membres du club avaient pourtant montré certains désaccords sur la conduite à tenir face aux libres de couleur, mais les quelques voix qui s’étaient exprimées en faveur d’une alliance furent rapidement étouffées.
Les modalités électorales adoptées par l’Assemblée nationale le 20 octobre 1789 vont distinguer deux catégories de citoyens selon un critère censitaire : les citoyens « actifs », qui jouissaient des droits civils et politiques, et les citoyens « passifs » qui ne pouvaient participer aux élections. Les hommes les plus pauvres se voyaient ainsi, comme les femmes, privés de droits politiques.
Au mois d’octobre 1789, les citoyens de couleur furent reçus à l’Assemblée nationale et demandèrent à y obtenir une représentation. Le club riposta en menant une propagande écrite contre les députés membres de la Société des Amis des Noirs (l’abbé Grégoire, Mirabeau…) qui appuyaient les revendications des citoyens de couleur. Secrétaire du club et auteur de brochures esclavagistes, David Duval de Sanadon accusait ces « défenseurs des Noirs » d’être en réalité les « persécuteurs des Blancs ».
Gabriel Debien, La société coloniale aux XVIIe et XVIIIe siècles. 2, Les colons de Saint-Domingue et la Révolution. Essai sur le club Massiac, août 1789-août 1792, Paris, A. Colin, 1953, p. 69.
Le 8 mars 1790, un décret porté par le Comité des colonies accédait aux exigences des colons esclavagistes en autorisant les colonies à émettre des vœux constitutionnels compatibles avec le maintien de l’esclavage. Les colonies étaient dorénavant situées hors du champ d’application de la Constitution et de son préambule, la Déclaration des droits. Les instructions (28 mars) accompagnant ce décret ouvraient les assemblées paroissiales (chargées d’élire des représentants à l’assemblée coloniale) à « toutes les personnes âgées de 25 ans accomplis » propriétaires ou contribuables, sans mention explicite des hommes libres de couleur. Ces derniers défendirent une application stricte et non discriminatoire du décret du 8 mars, tandis que les colons blancs l’interprétèrent en faveur d’un statu quo (les « personnes » incluant les seuls hommes blancs). Cette double lecture permet de comprendre pourquoi des colons blancs comme non-blancs ont revendiqué ce décret, à l’instar de Vincent Ogé. Après avoir réussi à rejoindre Londres en juin 1790, puis à gagner anonymement Saint-Domingue au mois d’octobre, il exigea du gouverneur Blanchelande l’application du décret du 8 mars. Face à son refus, il mena une révolte armée avant d’être arrêté, condamné au supplice de la roue et décapité avec plusieurs de ses compagnons en février 1791.
Comité de l’Assemblée nationale formé le 2 mars 1790 et chargé des affaires coloniales.
Sur le parcours de Vincent Ogé, voir Dominique Rogers, « Vincent Ogé » (notice 420) in Erick Noël (dir.), Dictionnaire des gens de couleur, Genève, Droz, 2011, p. 108-110.
Alors qu’Ogé traversait l’Atlantique, des citoyens de couleur restés à Paris dénoncèrent dans une adresse à l’Assemblée nationale les manœuvres des colons blancs dont ils étaient victimes depuis le début de la Révolution. Ils apportèrent au Comité des rapports des preuves impliquant aussi bien les colons, le ministre de la Marine La Luzerne que l’intendant de la Marine du Havre. La conclusion de leur adresse interpellait directement les députés, les renvoyant à leurs propres décrets nourris d’une promesse d’égalité :
[…] Ainsi, victimes d’un pouvoir qui craint évidemment de se montrer, repoussés par le gouvernement qui refuse d’écouter leurs plaintes, les citoyens de couleur ne peuvent que recourir à l’Assemblée législative ; elle seule a le droit de juger tout à la fois, les infracteurs et les dépositaires de la loi.
Oui, Messieurs, c’est à vous à prononcer ; c’est à vous à déclarer si le pouvoir exécutif doit se taire et rester inactif, lorsque la loi est méconnue, lorsque ses agents se permettent de la violer ouvertement ; c’est à vous, c’est à votre justice à décider si les colons blancs qui, dans un temps, ont mis en problème : si les citoyens de couleur doivent être comptés au rang des hommes, ont encore le droit de les vexer impunément, de leur interdire ce que la loi leur permet, d’attenter à leurs personnes, à leurs propriétés, de les retenir dans le royaume, de régler à leur gré les actes les plus indifférents de leur vie ; ou plutôt, Messieurs, c’est à vous à prononcer s’il existera toujours une distinction humiliante et barbare entre les blancs et les citoyens de couleur ?
AP, t. 16, p. 722-724, Extrait de l’Adresse des citoyens de couleur, réunis à Paris sous le titre de colons américains, présentée à l’Assemblée nationale le 6 juillet 1790.
Cette parole publique embarrassa les alliés du club et déstabilisa le réseau de surveillance mis au jour. La Société des colons choisit de ne pas répliquer publiquement, mais réactiva ses correspondances pour engager les instances de commerce des villes portuaires à ne pas relâcher leur contrôle. La Luzerne renvoyait quant à lui la responsabilité de cette situation aux planteurs. Enfin, craignant les effets de cette publicité, la municipalité du Havre leva tout obstacle empêchant les embarquements, contre la volonté des représentants du commerce de la ville. Le Comité des rapports de l’Assemblée nationale rendit ses conclusions quelques mois plus tard, en reconnaissant que les libres de couleur n’auraient jamais dû être privés de leur liberté de circulation et qu’ils pouvaient, comme les blancs, se déplacer librement entre métropole et colonie. Un arrêté ordonna l’ouverture des ports.
J.-Ph. Garran-Coulon , Rapport sur les troubles de Saint-Domingue fait au nom de la Commission des colonies, des Comités de salut public, de législation et de marine, réunis, Paris, Imprimerie nationale, 1796-1799, tome 2, p. 56-57.
Le grand débat colonial qui se déroula à l’Assemblée nationale en mai 1791 symbolisa les compromissions de l’Assemblée constituante avec les lobbies esclavagistes. Ce débat se conclut sur deux décrets. Le premier constitutionnalisa l’esclavage le 13 mai 1791. Le second (15 mai) accorda dans les colonies les droits politiques aux seuls hommes de couleur nés de père et de mère libres. Quoique partielle, cette reconnaissance fissurait l’ordre racial esclavagiste. Cependant, c’est à Saint-Domingue que s’engagea sa destruction. La grande révolte des esclaves – prémices de la Révolution haïtienne –, qui éclata dans la colonie le 23 août 1791, bouleversa les rapports de force et hâta les décisions des Assemblées successives. Déjà le 28 septembre 1791, l’Assemblée nationale avait reconnu dans la métropole la liberté pour tout individu qui foulait son sol et les droits de citoyen pour tout résidant « de quelque couleur qu’il soit ». Le décret du 28 mars 1792, sanctionné par le roi le 4 avril, élargit ces droits aux hommes libres de couleur des colonies. La liberté générale, proclamée le 29 août 1793 à Saint-Domingue, fut entérinée par la Convention qui abolit finalement l’esclavage le 4 février 1794 (16 pluviôse an II).
La Révolution entraîna la recomposition et la politisation de groupes d’intérêts coloniaux qui se saisirent de l’espace révolutionnaire métropolitain pour diffuser un discours esclavagiste. Les actions des membres du club doivent être replacées dans ce cadre plus large et le pouvoir d’influence qui leur est généralement attribué par l’historiographie à la suite du travail de Gabriel Debien mérite, par conséquent, d’être relativisé. Pour autant, le club Massiac participa incontestablement à la racialisation des débats sous la Constituante. Identifié comme contre-révolutionnaire par la Commune insurrectionnelle de Paris, il fut perquisitionné et définitivement fermé le 16 août 1792.
L’ouvrage de Gabriel Debien constitue aujourd’hui encore le travail de référence sur le club Massiac, voir Gabriel Debien, La Société coloniale aux XVIIe et XVIIIe siècles. 2, Les colons de Saint-Domingue et la Révolution. Essai sur le club Massiac, août 1789-août 1792, op. cit.
Bibliographie
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- Covo Manuel, « L’Assemblée constituante face à l’Exclusif colonial », in Régent Frédéric, Niort Jean-François, Serna Pierre (dir.), Les Colonies, la Révolution française, la Loi, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014, p. 69-92.
- Debien Gabriel, La société coloniale aux XVIIe et XVIIIe siècles. 2, Les colons de Saint-Domingue et la Révolution. Essai sur le club Massiac, août 1789-août 1792, Paris, Armand Colin, 1953.
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- Régent Frédéric, « La fabrication des Blancs dans les colonies françaises », in Laurent Sylvie et Leclère Thierry (dir.), De quelle couleur sont les Blancs ? Des « petits Blancs » des colonies au « racisme anti-Blancs », Paris, La Découverte, 2013, p. 67-75.
- Rogers Dominique, « Raciser la société : un projet administratif pour une société domingoise complexe (1760-1791) », Journal de la société des américanistes [En ligne], 99-2, 2009, p. 239-260.
- Rogers Dominique, « Vincent Ogé » (notice 420) in Erick Noël (dir.), Dictionnaire des gens de couleur, Genève, Droz, 2011, p. 108-110.
- Schaub Jean-Frédéric et Sebastiani Silvia, Race et histoire dans les sociétés occidentales (XVe-XVIII e siècle), Paris, Albin Michel, 2021.
- Vidal Cécile, « L’ordre de la race dans les mondes atlantiques, XVe-XVIIIe siècle », in Ismard Paulin (dir.), Les mondes de l’esclavage. Une histoire comparée , Paris, Seuil, 2021, p. 923-939.
Pour citer cet article
Sonia Taleb, « Le club Massiac – des colons esclavagistes dans la Révolution française », RevueAlarmer, mis en ligne le 7 janvier 2022, https://revue.alarmer.org/le-club-massiac-des-colons-esclavagistes-dans-la-revolution-francaise/