05.07.21 Le Mouvement. La lutte des Africains-Américains pour les droits civiques, un livre de Thomas C. Holt

Le Mouvement, dont le titre pourrait sonner d’une manière un peu énigmatique en français, désigne les mobilisations en faveur des droits civiques durant les années 1950-1960 aux États-Unis. Son auteur, l’historien états-unien Thomas Cleveland Holt, spécialiste de l’histoire africaine-américaine, propose un récit dense dont le cœur porte sur la période qu’on pourrait qualifier de « classique » du mouvement pour les droits civiques, de 1955 à 1965, selon l’expression utilisée par Bayard Rustin. Il faut se réjouir que ce livre, publié aux États-Unis en avril 2021, puisse nous être proposé aussi rapidement en français par les éditions de la Découverte, grâce à la traduction de Jean-Claude Zancarini. Après une thèse à Yale en 1974 qui portait sur la Caroline du Sud durant la période dite de la Reconstruction (qui suit la Guerre de Sécession), Thomas Cleveland Holt a publié de nombreux ouvrages dont en 2010 The Problem of Race in the Twenty-first Century, dans lequel il se saisit du concept de « race » pour envisager son rôle dans la société de consommation. Il est professeur émérite à l’Université de Chicago, après avoir enseigné dans de nombreuses universités prestigieuses, dont Howard et Harvard.

Thomas C. Holt, Le Mouvement. La lutte des Africains-Américains pour les droits civiques, traduit de l’anglais par Jean-Claude Zancarini, La Découverte, Paris, 2021.

Bayard Rustin est l’un des principaux organisateurs de la Marche sur Washington en 1963, aux côtés de Martin Luther King. Il écrit ainsi « le terme  » classique » apparait particulièrement adapté pour définir cette phase du mouvement pour les droits civiques » durant laquelle, selon lui, les fondements légaux du racisme ont été détruits, voir Bayard Rustin. « From Protest to Politics: The Future of the Civil Rights Movement », Commentary Magazine, 1 février 1965.

Son dernier ouvrage est d’autant plus indispensable que les publications en français sur ces questions demeurent rares, et que les traductions d’historiennes et d’historiens états-uniens le sont encore plus. Thomas C. Holt revient ainsi sur un sujet très souvent médiatisé, mais également trop souvent simplifié jusqu’à la caricature. Nous en connaissons quelques épisodes héroïques comme le boycott des bus de Montgomery en 1955 -1956, et quelques figures iconifiées, telles Rosa Parks ou Martin Luther King Jr.. Cependant ces représentations communes relèvent trop souvent d’un récit édifiant, qui déforme la réalité au point de parfois faire dire aux acteurs de cette histoire le contraire de ce qu’ils pensaient et de ce pour quoi ils ou elles luttaient. L’historien Vincent Harding dénonce ainsi ce : « processus qui a fait de Martin Luther King une icône nationale [qui] a requis un cas d’amnésie massive à propos de ce que King défendait réellement » .

Pour mémoire, parmi ces quelques ouvrages en français on peut citer : Caroline Rolland-Diamond, Black America. Une histoire des luttes pour l’égalité et la justice (XIXè-XXIè siècle), Paris, La Découverte, 2016 ; le travail du sociologue Doug McAdam, Freedom Summer, luttes pour les droits civiques, Mississippi 1964, Marseille, Agone, 2012; Ahmed Shawki, Black and red: Les mouvements noirs et la gauche américaine 1850-2010, Paris, Editions Syllepse, 2012.

Vincent Gordon Harding, « Beyond Amnesia: Martin Luther King, Jr., and the Future of America », The Journal of American History, 74, no 2, 1987, p. 469. Sylvie Laurent a publié une biographie de King qui dévoile sa radicalité : Sylvie Laurent, Martin Luther King: une biographie intellectuelle et politique, Paris, Éditions du Seuil, 2015.

Au-delà des mythes

Le récit bref et captivant offert par Thomas C. Holt nous permet de dépasser ces images d’Épinal pour comprendre comment « l’enthousiasme et la détermination palpables du peuple auquel il s’adressait firent de King […] le prophète emblématique d’un mouvement de masse » (p. 63). Ainsi, nous saisissons la colère accumulée contre la ségrégation raciale et les discriminations, et l’énergie militante d’une mobilisation, nommée simplement « le Mouvement » par celles et ceux qui le rejoignaient. Holt adopte la perspective d’une histoire « par en bas » (« from below ») qui met en valeur la capacité d’action (agency) des anonymes : ainsi son récit s’ouvre d’une manière émouvante par le geste isolé de sa grand-mère, Carrie Fitzgerald qui en 1944, comme Rosa Parks par la suite, refuse de céder son siège dans un bus ségrégué. Cet exemple donne l’occasion à l’auteur de réfléchir sur ce qui fait la spécificité des mobilisations de la période de 1955 à 1965. Il revient ainsi sur différents moments de la lutte contre la ségrégation dans les transports depuis le XIXe siècle, afin de mettre en lumière la force et la singularité du mouvement des droits civiques d’après 1955.

En effet, et c’est la thèse de l’ouvrage, Thomas Holt insiste sur le caractère unique de cette séquence de mobilisations, qui voit successivement les Africains-Américains de différentes villes du nouveau Sud entrer dans la lutte d’une façon massive, à Montgomery, Birmingham, Albany et Selma. Il prend ainsi le contre-pied du courant historiographique qui, à la suite des recherches de Jacquelyn Dowd-Hall, choisit de replacer ces événements dans la longue durée d’un Long Civil Rights Movement. Holt craint qu’une telle approche ne participe à une sous-estimation de « la puissante influence que le Mouvement exerça sur d’autres mouvements sociaux pendant la seconde moitié du XXe siècle, ainsi que sur la pensée et la culture américaines en général ». Il souligne l’originalité et la puissance d’une mobilisation de masse qu’il refuse de dissoudre dans le temps long d’un « mouvement pour l’émancipation noire », un « Black Freedom Movement », selon l’expression employée par de nombreux historiens tels Manning Marable ou Clayborne Carson, pour désigner la continuité d’une résistance à l’oppression depuis l’esclavage jusqu’à nos jours, une expression qui permet aussi d’élargir la portée de ces combats par-delà les objectifs légaux d’un mouvement pour l’égalité des droits. Holt choisit de définir le Mouvement comme « la mobilisation de masse des communautés noires pour contester un statut civil qui les place en situation de subordination sur des critères raciaux » (p. 49).

Il s’agit de ces régions anciennement dédiées à la culture du coton qui depuis les années 1930 ont connu des transformations économiques importantes.

Cette approche dite du Long Civil Rights Movement a été initiée notamment par un article séminal en 2005 : Jacquelyn Dowd Hall. « The Long Civil Rights Movement and the Political Uses of the Past », The Journal of American History, vol. 91, no 4, 1 mars 2005, p. 1233‑1263.

Sur la question de l’appellation du mouvement et des termes « civil rights mouvement » l’article de Clayborne Carson en 1986 marque un moment historiographique important : Clayborne Carson, « Civil rights reform and the black freedom struggle », in The civil rights movement in America: essays, par David L Lewis et Charles W Eagles, Jackson, University Press of Mississippi, 1986. Voir aussi dans cette perspective Manning Marable, Living Black History: How Reimagining the African-American Past Can Remake America’s Racial Future, New York, Basic Books, 2006. et Rolland-Diamond, Op. cit, p. 12.

1955-1965 : dix années cruciales

Le plan du Mouvement est au service de cette démonstration : il fait du boycott des bus de Montgomery le moment déclencheur de ce combat qui se conclut avec l’adoption en 1965 du Voting Rights Act, et se concentre donc sur les mobilisations dans le Sud anciennement esclavagiste. Une première partie, « Avant Montgomery » retrace l’histoire de la National Association for the Advancement of Colored People, la NAACP, et de quelques-uns de ses avocats qui permirent plusieurs victoires juridiques, dont l’importante décision « Brown v. Board of Education of Topeka » en 1954, qui rendait illégale la ségrégation scolaire. La force de la démonstration des chapitres 2 et 3 sur les « villes du Nouveau Sud », et le « nouveau Vieux Sud », est d’établir les liens entre les transformations sociales et économiques, l’urbanisation, la naissance d’une classe moyenne noire, le développement des lycées et des universités noires, et les mobilisations sociales. Holt montre comment l’affaiblissement du contrôle social qui pesait auparavant d’une manière impitoyable sur les métayers noirs, a rendu possible la constitution d’une alliance large par-delà les classes sociales entre une tradition ouvrière noire radicale, représentée à Montgomery par E. D. Nixon, et les élites noires, qu’elles soient religieuses, avec le groupe des pasteurs autour de King, ou laïque, avec Jo Ann Robinson, l’enseignante d’anglais de l’université de l’Alabama State College qui imprima durant toute une nuit les tracts d’appel au boycott. Par ailleurs, un autre aspect passionnant est la prise en compte de la diversité des espaces sudistes, à différentes échelles : entre États du « Sud supérieur », Vieux Sud des bastions esclavagistes, et le cœur du Sud, le « Congo Américain », le Mississippi, selon l’expression utilisée en 1920 par William Pickens pour comparer les atrocités racistes dans le Mississippi avec les actes de barbarie du colonialisme belge au Congo. Holt démontre comme les évolutions économiques et sociales des villes du nouveau Sud, avec le développement d’industries, les créations de bases militaires durant la Seconde Guerre mondiale, mais aussi simplement le développement des transports urbains, dans lesquels « les rituels de subordination se rejouaient chaque jour » (p. 56), sont des facteurs essentiels pour comprendre la force du mouvement précisément dans ces villes. Il décrit les nuances entre chacune de ces agglomérations qui ont connu les mobilisations les plus importantes, Montgomery, Albany, Birmingham, et leur situation à la frontière entre le nouveau Sud et l’ancien du point de vue social et racial.

Ces chapitres sont aussi l’occasion de présenter les divergences de points de vue entre deux conceptions du mouvement. D’une part, la stratégie de la Southern Christian Leadership Conference, SCLC, formée par King, consiste à exposer médiatiquement la violence et le racisme des autorités du Sud, pour faire appel à l’opinion publique nationale et par la suite au gouvernement fédéral. C’est la stratégie suivie à Montgomery, Birmingham, Selma. D’autre part, les étudiants issus du mouvement des sit-in à partir de 1960, fondent la même année le Student Nonviolent Coordinating Committee, le SNCC, une nouvelle organisation formée à l’initiative d’Ella Baker, qui défend obstinément son autonomie vis-à-vis des organisations traditionnelles de l’élite noire, NAACP et SCLC. Le SNCC privilégie un minutieux travail d’organisation, moins spectaculaire, et ancré dans les communautés locales. Holt démontre comment, à partir de 1964-1965, un tournant « modifie la nature même du Mouvement » (p. 103). L’attentat le 15 septembre 1963 contre une église baptiste de la 16ème rue de Birmingham, et la mort de quatre petites filles, montre l’acharnement du Sud raciste, y compris en Alabama, ville qui aurait pu être supposée plus prête au compromis que d’autres du Sud profond. Par ailleurs, à partir de juin 1964, le SNCC lance la campagne de l’Été de la Liberté (Summer Freedom) dans le Mississippi, et la violence sans limite qui s’y déchaine contre les militants antiracistes, appelle d’autres méthodes que les manifestations de masse alors que celles-ci n’y sont pas possibles dans le delta du Mississippi. Le système des plantations y perdurait sous la forme du métayage, et le fonctionnement des communautés rurales s’apparentait à une forme de régime totalitaire, dans lequel chaque fait et geste était surveillé et ce jusqu’au courrier. Sous la direction du Council of Federated Organizations, le COFO, et avec le soutien du gouvernement fédéral qui souhaite orienter l’action des militants pour leur faire abandonner l’action directe et privilégier les efforts pour permettre aux Noirs de s’inscrire sur les registres électoraux, les jeunes activistes venus de toutes les universités du pays, se risquent au péril de leur vie au cœur de la suprématie blanche, dans la région du delta du Mississippi : ces dangers conduisent la plupart d’entre eux à réviser leur position quant à la non-violence, alors qu’ils ne peuvent survivre dans le Mississippi qu’en restant continuellement armés et parfois en organisant des tours de garde là où ils sont hébergés. Les représentations d’un Mouvement fondamentalement non-violent sont ici battues en brèche.

Dans ce chapitre, Holt s’appuie notamment sur les ouvrages de Charles M. Payne et de John Dittmer, qui sont indispensables pour qui s’intéresse au mouvement dans le Mississippi. Charles M. Payne, I’ve Got the Light of Freedom: The Organizing Tradition and the Mississippi Freedom Struggle : with a New Preface, Oakland, CA : University of California Press, 1995; John Dittmer, Local People: The Struggle for Civil Rights in Mississippi, Urbana,University of Illinois Press, 1994.

Les militants du COFO fondent aussi cinquante-cinq « Écoles de la Liberté » et créent un parti, ou plutôt une section intégrée du Parti démocrate, le Mississippi Freedom Democratic Party, MFDP, une branche concurrente de la section officielle, qui est totalement sous le contrôle des Blancs suprémacistes. La délégation du MFDP au congrès du Parti démocrate, à Atlantic City en 1964, refuse le compromis qui lui est proposé, soit de ne pouvoir faire siéger qu’un seul délégué, et revendique d’être reconnue comme la délégation légitime du Mississippi. Malgré les menaces et les attaques diligentées par le président Lyndon Johnson, qui fit même interrompre la retransmission télévisée du témoignage d’une déléguée du MFDP, Fannie Lou Hamer, une métayère de 47 ans, les délégués antiracistes ne cèdent pas. Mais le Parti démocrate persiste dans son refus de rompre avec ses membres partisans de la suprématie blanche. Pour les militants du SNCC la désillusion est brutale : c’est la fin de la coalition qui réunissait les organisations noires modérées, telle la NAACP et la SCLC, les démocrates et l’aile la plus active du mouvement, les jeunes du SNCC. Comme l’écrit le militant Cleveland Sellers dans ses mémoires : « Après Atlantic City, notre lutte n’était plus pour les droits civiques, mais pour la libération »

Sous la pression duquel des emplois sont refusés à ceux qui soutiennent le MFDP, des prêts annulés, des salariés licenciés.

Cleveland Sellers et Robert L Terrell, The river of no return: the autobiography of a Black militant and the life and death of SNCC, Jackson, University Press of Mississippi, 1990, p. 111.

Un cinquième chapitre, assez bref, revient sur les discriminations et la ségrégation de facto qui régnaient aussi au Nord, et les mobilisations qui s’y sont développées, mais cette partie semble disjointe de la démonstration principale. Holt revient alors aux années 1930 pour décrire la forme que prend la ségrégation économique, scolaire, spatiale dans le Nord. À propos des années 1960, il n’aborde pas la question des révoltes urbaines, désignées comme des émeutes par les pouvoirs en place, et ne traite que marginalement de l’ère du Black Power. Il montre comment en lieu et place des revendications en termes de droits, le Black Power marque la volonté par les habitants des ghettos de prendre en main leurs affaires d’une manière autonome, de contrôler les moyens mis à la disposition de la minorité noire, sans faire confiance aux représentants du pouvoir fédéral, et aux Blancs en général. 

Donner la parole

Holt propose donc le récit d’une mobilisation qu’il limite essentiellement à la séquence courte 1955-1965, pour mieux en faire ressortir le caractère exceptionnel. Cependant son analyse ne fait que de brèves allusions aux différents courants et mouvements qui ne concordent pas avec les perspectives libérales du mouvement tel qu’il l’a défini et ses objectifs avant tout sur le terrain du droit. Ainsi il évoque le nationaliste noir Marcus Garvey « à la tête du plus grand mouvement de masse jamais mis sur pied » (p. 34) sans envisager qu’il puisse exister des liens entre ces années 1920 et le surgissement de nouvelles organisations nationalistes dans les années 1960. Cela correspond à la vision plutôt négative qu’Holt donne de l’ère du Black power : ainsi l’échec du SNCC serait lié aux « réactions provoquées par le mot d’ordre militant du Black Power, lancé par Stokely Carmichael en 1966 » (p. 141). L’historien Joseph Peniel écrit à propos de ce type d’approche historiographique qu’elle considère le Black Power comme le « double maléfique qui ruina le mouvement pour les droits civiques ». Holt choisit ainsi de ne pas traiter des courants du nationalisme noir et de l’ère du Black Power, tout comme il ne traite du Nord que séparément, tout en signalant tout de même les nombreux liens entre les différents espaces et l’appui indispensable qui fut apporté de l’extérieur aux communautés noires du Sud. Il néglige ainsi les interactions entre les organisations modérées et libérales, telles la NAACP ou la SCLC, et les groupes plus radicaux. Le sociologue Herbert H. Haines note que « le rôle du factionnalisme au sein des mouvements, et particulièrement le rôle des activistes ‘radicaux’ dans la formulation de la réponse politique donnée par les ‘modérés’ est un sujet négligé par la théorisation du mouvement social ». Il décrit les relations entre tendances radicales et modérées à travers l’étude des soutiens financiers à la SCLC et constate que les fonds reçus augmentent proportionnellement à la crainte qu’inspirent tous les signes de radicalisation, tels que les émeutes des années 1960 ou le développement de tendances radicales nationalistes exprimées tout d’abord par Malcolm X. Il définit ce phénomène sous l’appellation d’ « effet de la frange radicale », radical flank effect, qui peut fonctionner de deux manières opposées et aussi bien pousser un groupe modéré à se radicaliser, comme à l’inverse à se replier vers le conservatisme. Haines constate que les organisations noires modérées ont bénéficié indirectement de la crainte des plus radicaux. Holt préfère mettre l’accent sur l’énergie des communautés noires des villes du Sud, et leur capacité à agir d’une manière autonome, ce qui, il est vrai, doit aussi être souligné.

 Peniel E. Joseph. « Black Liberation Without Apology: Reconceptualizing the Black Power Movement. », Black Scholar 31, no 3/4, Fall/Winter2001, p. 2. Voir aussi Peniel E. Joseph, Waiting ’Til the Midnight Hour: A Narrative History of Black Power in America, New York, Henry Holt and Company, 2007.

« A neglected topic in social movement theory is the effect of factionalism within movements, particularly the role of « radical » activists in shaping responses to « moderates » in Herbert H. Haines. « Black Radicalization and the Funding of Civil Rights: 1957-1970 », Social Problems, 32, no 1, 1984, p. 31.

 Les modérés peuvent craindre d’être assimilés aux plus radicaux, ce serait l’effet négatif et en réaction ils s’en démarquent le plus possible. A l’inverse et sans qu’ils le recherchent, la concurrence radicale peut leur attirer le soutien de la majorité de la société, à la recherche d’un contre-feu. Pour traduire ce phénomène sociologique en français nous avons trouvé l’expression d’ « effet du bord radical » qui n’est pas immédiatement compréhensible. Nous préférons « frange », qui est au bord sans être détachée. Anne Revillard, « La sociologie des mouvements sociaux : structures de mobilisations, opportunités politiques et processus de cadrage. », Manuscript, Juin 2003 ; Herbert H Haines, Black Radicals and the Civil Rights Mainstream, 1954-1970, Knoxville, University of Tennessee Press, 1989, p. 3‑5.

Par ailleurs, le récit qu’il fait de l’action de Rosa Parks ne donne peut-être pas la pleine mesure de son parcours militant et reste trop proche finalement des représentations figées d’une « matriarche par accident » . Rosa Parks a milité plus de vingt ans depuis les années 1930, avec la NAACP, dans des conditions très difficiles. Elle avait le projet depuis des années de produire une situation qui permettrait de monter un dossier en justice, et si l’incident dans le bus le 1er décembre 1955 est fortuit, ce n’est pas sa première tentative, et depuis des mois elle y préparait le groupe de jeunes adhérents de la NAACP qu’elle animait, et en qui elle plaçait tous ses espoirs. Holt donne à juste raison la première place à la masse des anonymes du mouvement, mais aux heures les plus sombres du maccarthysme, qui pesait aussi sur les organisations noires même les plus modérées, des militantes telle Rosa Parks ont tenu bon. L’auteur souligne d’ailleurs le rôle essentiel et trop longtemps négligé des militantes, sans cependant combler véritablement cette lacune, qui, il est vrai, aurait requis un volume bien plus important.

 Matriarche par accident comme la nomme Theoharis, pour insister sur le travestissement de l’histoire que ces métaphores produisent. Jeanne Theoharis. « Accidental Matriarchs and Beautiful Helpmates », dans Civil Rights History from the Ground Up: Local Struggles, a National Movement, par Emilye Crosby, Athens, GA, University of Georgia Press, 2011, p. 385 et 392.

Les ouvrages qui redonnent leur juste place aux femmes se sont multipliés depuis les années 1990 et on ne peut que regretter qu’aucun n’ait été traduit. Bernice McNair Barnett, Sisters in struggle: invisible black women in the civil rights movement, 1945-1970, London, Routledge, 1999; Bettye Collier-Thomas et V. Vincent P. Franklin, Sisters in the Struggle: African-American Women in the Civil Rights and Black Power Movement, New York, NYU Press, 2001; Vicki L. Crawford, Jacqueline Anne Rouse, et Barbara Woods, Women in the Civil Rights Movement: Trailblazers and Torchbearers, 1941-1965, Bloomington, Indiana University Press, 1990; Ashley D. Farmer, Remaking Black Power: How Black Women Transformed an Era, Chapel Hil, N.C., University of North Carolina Press, 2017 ; Faith S. Holsaert et al., Hands on the Freedom Plow: Personal Accounts by Women in SNCC, Urbana, University of Illinois Press, 2010.

Cet ouvrage est une lecture essentielle pour qui veut comprendre ces mobilisations en lien avec les évolutions économiques et sociales, et surtout il nous introduit aux nombreux débats qui agitent les historiennes et les historiens de l’histoire africaine-américaine. Il se termine en rappelant, et cela reste plus que jamais vrai que « ce ne sont pas les leaders exceptionnels mais les gens ordinaires […] qui sont capables de gagner ce combat ».

Pour citer cet article

Olivier Maheo, « Le Mouvement. La lutte des Africains-Américains pour les droits civiques », RevueAlarmer, mis en ligne le 5 juillet 2021, https://revue.alarmer.org/le-mouvement-la-lutte-des-africains-americains-pour-les-droits-civiques-un-livre-de-thomas-c-holt/

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