22 janvier 2007. L’abbé Pierre, né Henri Grouès, meurt à l’âge de 94 ans. Élus locaux et nationaux, candidats à l’élection présidentielle prochaine, personnalités religieuses… Le flot des hommages paraît intarissable. Le prêtre à la canne et au béret semble faire l’objet d’un large consensus. Son infatigable combat pour le droit au logement et contre la pauvreté, son franc-parler, son énergie désinvolte et, non des moindres, son action dans la Résistance semblent le parer d’une aura, celle d’un saint.
Le mouvement Emmaüs et la fondation portant son nom lui survivent, ancrant dans la durée une action sociale transformatrice et une silhouette, reconnaissable entre mille. Des années durant, son aura semble intouchable.
Ce n’est qu’en 2024, au lendemain des bouleversements induits par le mouvement #MeToo, que l’image de l’abbé commence à se fissurer. Les témoignages abondent : l’abbé, qui avait reconnu par le passé avoir commis le « péché de chair », est accusé par de nombreuses femmes, pour certaines mineures au moment des faits, de les avoir harcelées ou agressées sexuellement, voire violées. De rapport en enquête journalistique, sont mis au jour non seulement des violences répétées mais aussi de vastes entreprises visant à couvrir ces faits. Le tabou de la critique de l’abbé Pierre étant levé, souvenirs et archives oubliés refont surface. Il n’apparaît pas seulement comme un prédateur de femmes : son portrait de résistant semble entaché par une certaine adhésion, dès sa jeunesse, à des discours hostiles aux Juifs. En particulier, l’ouvrage Abbé Pierre : La fabrique d’un saint, publié début 2025 par les journalistes d’investigation Laetitia Cherel et Marie-France Etchegoin, exhume des écrits, des paroles et des actes dépassant de loin l’antijudaïsme chrétien .
Henri Tincq, « L’abbé Pierre révèle qu’il a commis le ‘péché de chair’ », Le Monde, Paris, Groupe Le Monde, 28 octobre 2005, [en ligne :] https://www.lemonde.fr/societe/article/2005/10/28/l-abbe-pierre-revele-qu-il-a-commis-le-peche-de-chair_704359_3224.html
Laetitia Cherel et Marie-France Etchegoin, Abbé Pierre : la fabrique d’un saint, Paris, Allary Éditions, 2025, 416 p.
En apparence, tout semble opposer cet Henri Grouès secret et son personnage public altruiste et humaniste, celui de l’abbé Pierre. À l’aune des récentes révélations mais aussi d’éléments connus de plus longue date, il est possible de revenir sur le rapport aux Juifs et au judaïsme d’Henri Grouès, au risque d’écorner un peu plus l’image sainte qui en était diffusée.
Un jeune catholique lecteur de Drumont
« Je ne peux m’empêcher de rire depuis le début. Ce tableau – peut-être exact – des races sémite et aryenne est vraiment roulant », écrit en avril 1930 Henri Grouès, 18 ans, dans un carnet intime. L’objet de son hilarité ? La France juive d’Édouard Drumont, pamphlet antisémite publié près d’un demi-siècle plus tôt, confrontant à l’« Aryen enthousiaste, héroïque, chevaleresque, désintéressé, franc, confiant jusqu’à la naïveté » le « Sémite mercantile, cupide, intrigant, subtil, rusé ».
Ibid., p. 76

Le jeune homme reconnaît son peu de culture sur le sujet, inscrivant : « Peut-être est-ce vrai ? Je ne m’en rends pas compte ». Car si Henri « baigne dans un monde où l’on est accoutumé au venin de la ‘’judéophobie’’ » , le texte de Drumont ne fait pas que reprendre les poncifs de l’antijudaïsme ecclésial qui peuvent circuler dans une famille bourgeoise catholique comme celle des Grouès, installée à Lyon. En effet, La France juive fait la synthèse des discours sur le peuple déicide avec ceux qui assimilent les Juifs à la modernité industrielle et au capitalisme financier, et avec les thèses racistes dont Drumont est contemporain et qui, en prétendant s’appuyer sur la science, font des Sémites une « race » nécessairement inférieure. Le livre de Drumont est un exemplaire éclairant du « lien fluctuant », selon la formule de l’historien Giovanni Miccoli, qui s’est établi au XIXe siècle entre antijudaïsme chrétien et antisémitisme moderne. La France juive est un élément structurant de ce « canal » où se retrouvent des titres de presse et partis politiques se revendiquant du catholicisme. C’est pourquoi sa présence dans la bibliothèque des Grouès n’est guère surprenante, sans qu’elle signifie nécessairement une adhésion de la famille entière à l’antisémitisme. Henri Grouès, lui, semble hésitant face à pareil propos. Pourtant, s’il cesse la lecture du pamphlet, ce n’est pas par scrupule vis-à-vis de cet antisémitisme virulent, mais parce que « c’est la faiblesse de l’’analyse’ qui le lasse ».
Ibid., p. 76
Ibid., p. 77
Sur Drumont, voir Grégoire Kauffmann, Edouard Drumont, Paris, Perrin, 2008, 562 p.
Marie-Anne Matard-Bonucci, « Antisémitisme », RevueAlarmer, mis en ligne le 18 avril 2025, https://revue.alarmer.org/notice/antisemitisme/
Michel Winock, Nationalisme, antisémitisme et fascisme en France, Paris, Seuil, 1990, 446 p., pp. 125-129.
Nina Valbousquet, Les âmes tièdes. Le Vatican face à la Shoah, Paris, 2024, 468 p., p. 31
Ibid., p. 31
Laetitia Cherel et Marie-France Etchegoin, op. cit., p. 77
Du vichysme à la Résistance : rupture et continuité
On a dit l’abbé Pierre résistant : il le fut assurément, entretenant des liens étroits avec le maquis du Vercors sans l’intégrer lui-même. Beaucoup plus tard, à l’aune des révélations journalistiques, on l’a dit favorable au régime de Vichy : il le fut également. Si le tableau apparaît largement contradictoire, le cheminement du Lyonnais – qui ne fut pas le seul à évoluer de la sorte – n’est pas une volte-face insensée ou le produit d’un pur opportunisme.
Quand débute l’occupation, Henri Grouès devient aumônier à La Mure, dans l’Isère. Dès 1940, il y côtoie les évêques Caillot et Gerlier. Le premier salue, à la messe du 23 juin où Grouès est présent, « l’homme providentiel qu’est le maréchal », cadeau de Dieu, quand le second accueille le chef de l’État français à Lyon le 19 novembre aux mots de « Pétain c’est la France, et la France aujourd’hui, c’est Pétain ! Pour relever la patrie blessée, toute la France est derrière vous ». Le cardinal qui a ordonné Grouès prêtre deux ans plus tôt voit quant à lui en Pétain le « sauveur » d’une France meurtrie.
Ibid., p. 70
Ibid., p. 71
Ibid., p. 71
Comment le jeune ecclésiastique accueille-t-il ces prises de position ? Se rangerait-il dans les rangs du « pétainisme passif », notion de l’historien Yves Durand désignant la confiance, la gratitude et l’admiration que portent beaucoup de Français au maréchal Pétain pour son aura de vainqueur de Verdun, par opposition à un « pétainisme actif », adhésion pleine et entière au projet politique du régime de Vichy ? Nombreux sont les évêques français à osciller alors entre les deux, a observé l’historienne Nina Valbousquet . Il semble en aller de même pour le jeune Grouès. Les discours qu’il tape alors à la machine, archivés, sont explicites quant à son attitude parfois plutôt active que passive. Ainsi, dans le texte de « conférence morale » prononcée à La Mure en mai 1941, il définit comme « la plus belle des conquêtes » le fait de « ne pas confier ses différends au tranchant de l’épée » et enjoint : « Ayons la fierté de penser que le maréchal travaille à cette conquête, la plus belle et la plus glorieuse ».
Yves Durand, La France dans la Seconde Guerre mondiale, 1939-1945, Paris, Armand Colin, 1989
Nina Valbousquet, op. cit., p. 131
Laetitia Cherel et Marie-France Etchegoin, op. cit., p. 71
Le même mois, au vélodrome de Grenoble, il ordonne à six cents jeunes : « Partout où aujourd’hui la France renaissante de notre grand maréchal agit, soyez présents, soyez présents, soyez au premier rang, soyez des plus grands lutteurs, dans la conscience et l’enthousiasme ». Des mots qui glorifient la patrie, supposément régénérée par le dirigeant, et qui semblent témoigner d’une adhésion patriotique de Grouès au régime. S’y ajoute une adhésion d’ordre religieux, lorsqu’il apostrophe : « Jeunes, paysans, étudiants, dirigeants, ouvriers de France, agissez donc ! Chacun, en vos métiers, avec compétence, valeur ; dans les tâches temporelles de la reconstruction. Mais portez-y partout un cœur chrétien, fier de sa foi ! ». Et d’ajouter, dans un courrier daté du 13 mai et destiné au Secrétariat général de la Jeunesse, organisme créé par le régime de Vichy, « qu’une reprise saine et morale des jeunes de France n’est pas impossible moyennant certaines conditions », à savoir le soutien à des mouvements de jeunes pour leur permettre de former « cadres » et « chefs ». Le clerc termine son message au fonctionnaire en l’assurant de son « entier dévouement de jeune, de Français et de serviteur du Christ à la cause des jeunes dont, pour notre région, vous avez reçu authentiquement de Dieu par l’intermédiaire des chefs temporels la charge ». Une véritable déclaration d’allégeance, doublée d’une allusion au droit divin comme fondement du pouvoir vichyste.
Ibid., p. 72
Ibid., p. 72
Ibid., p. 73
Ibid., p. 73
L’adhésion à la Révolution nationale signifie-t-elle nécessairement un antisémitisme ? Peut-être pas. Mais il est révélateur que l’éloge par Grouès de la « belle et glorieuse conquête du maréchal » soit prononcé après la loi prévoyant l’internement dans des camps des « ressortissants étrangers de race juive », près d’un an après les débuts des dénaturalisations de plus de quinze mille Français et six mois après l’instauration par le régime d’un premier statut des Juifs. Un statut des Juifs auquel l’Assemblée des cardinaux et archevêques de la zone inoccupée appelait dès l’été 1940, arguant du fait que « les Juifs de toutes les nations » ne seraient pas « des étrangers ordinaires accueillis dans un pays, mais des gens inassimilés et, semble-t-il, inassimilables ». Ce premier statut des Juifs n’a guère fait l’objet de contestation chez les clercs français – y compris, donc, chez Henri Grouès.
Ibid., p. 75
Nina Valbousquet, op. cit., p. 131

Le 2 juin 1941 est adopté un second statut des Juifs, qui accentue le caractère racial, plutôt que confessionnel, de la définition de la judéité. Celui-là fait quelques remous dans le clergé français. Cette fissure dans la relation entre certaines composantes de l’Église et l’État français va en s’accentuant avec les premières rafles. Le cardinal Gerlier lit une lettre de protestation tout en répétant son loyalisme envers le régime de Vichy, quand l’archevêque Géraud Saliège et l’évêque Pierre-Marie Théas se font plus critiques, parlant d’une « barbare sauvagerie » à l’œuvre dans la rafle du Vel d’Hiv. C’est dans ce contexte que Grouès rejoint la Résistance. Les « nouvelles recrues » affluent alors en nombre, entre autres, dans les réseaux clandestins en lien avec la Résistance spirituelle. Les journalistes Laetitia Cherel et Marie-France Etchegoin identifient en effet « les grandes rafles », après « l’instauration du STO », comme ce qui « fait basculer in fine Henri Grouès dans le camp des rebelles ». Un moment où, donc, les clercs et laïcs catholiques sont de plus en plus nombreux à gagner ce camp et où, plus généralement, l’opinion publique sur le régime de Vichy connaît, selon l’historien Pierre Laborie, « une rupture, une sorte de point de non-retour, l’entrée dans un processus irréversible de dégradation ».
Ibid., p. 134
Ibid., pp. 194-195
Bernard Comte, L’honneur et la conscience. Catholiques français en résistance, 1940-1944, Paris, Les Éditions de l’Atelier, 1998, 304 p., p. 160
Laetitia Cherel et Marie-France Etchegoin, op. cit., p. 79
Pierre Laborie, L’opinion française sous Vichy, Paris, Seuil, 1990, 405 p., p. 270
Le trentenaire aurait, dit-il lui-même en 1993, eu un « déclic » lorsque « deux Juifs en larmes » sonnèrent chez lui, semble-t-il à l’été 1942. Certains préjugés sur les Juifs n’en semblent pas moins toujours présents : il fait ainsi état, parmi ceux qui lui ont demandé de l’aide, d’un « israélite dont le physique accentué rendait impossible de taire son origine ».
Laetita Cherel et Marie-France Etchegoin, op. cit., p. 81
Ibid., p. 80
La rupture représentée par son passage dans la Résistance – manifestée par l’adoption d’un pseudonyme de résistant, celui d’« abbé Pierre », le même été – ne va pas sans une certaine continuité idéologique. En effet, au printemps 1943, il débute la confection d’un bulletin titré Union patriotique indépendante. Il y préconise un « État fort » qui ne soit « plus au service des puissances financières », avec une organisation disciplinaire pour que les travailleurs, groupés en syndicats, s’astreignent à « l’hygiène et la culture physique ». Ce, « pour que l’histoire puisse compter demain les exploits » de leur « race » et de leur « génération à l’égal de ceux du temps de Jeanne [d’Arc] ». Un programme dont « la phraséologie, de style très ‘ordre moral’ reflète un état d’esprit assez proche de celui qu’expriment les textes de Vichy », commente une cinquantaine d’année plus tard l’universitaire et militant nationaliste Pierre Vial. Et une référence claire à une figure militaire de l’histoire française idolâtrée par le régime. Grouès reste, en fait, assez cohérent dans ses idées relatives à la société et à la jeunesse, ne changeant de camp que face à ce qui lui apparaît comme excessif.
Ibid., p. 86
Ibid., p. 87
Ibid., p. 87
Ibid., p. 86
Pierre Vial, La Bataille du Vercors, 1943-1944, cité par Laetitia Cherel et Marie-France Etchegoin, op. cit., p. 87
On l’observe encore le 21 juillet 1944, lorsque l’abbé Pierre est auditionné par la Direction technique des services spéciaux (DTSS), à Alger où il a rallié la France libre. Évoquant la propagande vichyssoise, il souligne que celle-ci a échoué à discréditer les communistes au vu de « l’héroïque participation des militants » de ce camp à la Résistance. Et de contrebalancer : « Pour la question juive hélas, les résultats sont inverses » car « en dépit de magnifiques cas (plusieurs Israélites sont pour moi désormais des amis infiniment chers), il y a eu trop de faits confirmant cette propagande et faisant scandale. » Outre l’incise sur le fait d’avoir des « amis » dans une minorité donnée, qui rappellera bien des déclarations aux lecteurs actuels, l’abbé Pierre semble vouloir donner raison à la propagande de Vichy. Il évoque alors des « villages et petites villes littéralement affamés par des familles contraintes à l’oisiveté (sans qu’il soit de leur faute, certes) mais regorgeant d’or avec quoi elles raflaient avec impitoyable dureté tout (Villard-de-Lans, Uriage, etc.) ; trop faibles proportions d’Israélites dans les maquis (certes il y en a et de splendides…) et trop fortes proportions au contraire parmi les passifs ‘planqués’, des fermes ou des petits hôtels ».
Laetitia Cherel et Marie-France Etchegoin, op. cit.., p. 94
Ibid., p. 94
Des mots qui ressemblent à s’y méprendre à ce que l’on pouvait lire, pendant les quelques années qui précèdent, dans les rapports de police ou les synthèses du contrôle postal de la zone inoccupée, où s’observe une convergence entre, d’une part, les préoccupations des Français liées au rationnement et aux prix et, d’autre part, le stéréotype assimilant les Juifs à l’argent. Depuis l’hiver 1940-1941, le Juif y fait figure de responsable idéal de la montée du prix et des trafics au marché noir. Pourtant, la personne invoquant ces clichés sur le parasitisme supposé des Juifs n’est pas un simple citoyen français suggestible mais bien un homme qui a, entretemps, agi dans la clandestinité pour sauver des Juifs à travers le maquis du Vercors. Loin d’ignorer les persécutions des Juifs, l’abbé les a combattues, ce qui ne l’empêche pourtant pas de continuer à véhiculer des préjugés antijuifs et à les formuler sans distance à ses interlocuteurs de la DTSS. De fait, ces mots n’ont pas entravé ses activités futures.
Pierre Laborie, op. cit., pp. 276-277
« La France croit plus qu’avant la guerre au slogan du parasitisme systématique des Israélites » dit l’abbé. Il ne se contente pas d’un tel jugement mais se montre prescriptif, voulant empêcher « un, qu’une prédominance d’Israélites, même français, s’établisse dans les rouages influents du pays ; deux, que les Israélites soient intégrés dans la vie s’ils n’ont, dans les mêmes proportions que tout autre milieu français, payé l’impôt du courage, de l’héroïsme et du sang activement versé au combat ». Soucieux de l’avenir du pays, il semble égrener des conseils au général de Gaulle : « N’importe quel général, populaire de par ses succès militaires, et lançant un appel aux actes, contre l’invasion juive, aurait la moitié des Français dont beaucoup de résistants derrière lui ! ». Il compte les Juifs parmi les décisionnaires de la France libre : au lycée Fromentin, siège du Comité français de libération nationale à Alger, il y aurait « 60 % de Juifs, dit-on. Alors ? Et la France ? Y a-t-il 60 % de Juifs au front ? ». Et de conclure : « Comprendra-t-on que c’est pour pousser au prochain pogrom ? ».
Ibid., p. 96
Ibid., pp. 96-97
Ibid., p. 97
L’abbé Pierre semble se vouloir le porte-parole des Français excédés par les Juifs, dans un continuum intellectuel, plutôt qu’une rupture nette, entre son engagement auprès du régime de Vichy et sa participation à la Résistance. Rappelons que tous les résistants à l’occupant allemand ne s’opposent pas alors au projet politique de l’État français, certains d’entre eux refusant la collaboration tout en soutenant la régénération morale de la France voulue par Pétain. À ce sujet, on a parlé dès les années 1980 de « vichysto-résistants ». Sans que l’on puisse à coup sûr rattacher l’abbé Pierre à cette catégorie historiographique, force est de constater que celui-ci n’opère pas de virage complet des idées entre le début et la fin de la guerre et qu’il n’est pas le seul à avoir de la sympathie aussi bien pour la Résistance que pour le régime de Vichy.
Johanna Barasz, « De Vichy à la Résistance : les vichysto-résistants 1940-1944 », Guerre mondiales et conflits contemporains, n°242, Presses universitaires de France, 242 p., pp. 27-50, [en ligne :] https://doi.org/10.3917/gmcc.242.0027
La mise au jour de ces documents par Laetitia Cherel et Marie-France Etchegoin dresse donc un portrait de l’abbé Pierre comme bien plus sulfureux mais aussi plus complexe qu’on ne le pensait. Il versa un temps dans le pétainisme actif mais apparemment pas dans la collaboration avec l’occupant allemand. Il aida des Juifs mais resta pétri de préjugés antisémites.
Une autre révélation, qui fut celle du site Off Investigation avant d’être reprise et nuancée par ces autrices, ferait au contraire – si elle était étayée – paraître vraiment incohérent le cheminement d’Henri Grouès dans la Seconde Guerre mondiale. En effet, une note classée secret-défense dévoilée le 10 octobre 2024 met au jour, parmi les agents de Klaus Barbie à Lyon, un certain « Pierre (Abbé) ». La note fut examinée en 1983, à l’approche du procès Barbie, par Olivier Renard-Payen, proche du ministre de la Défense Charles Hernu, qui releva alors ce nom parmi d’autres « particulièrement marquants ». La description de l’individu est la suivante : « 28-30 ans – 1m70 – agent de la SD [service de renseignement de la Gestapo] Lyon au service de Kampf (adjoint de Barbie) – cheveux noirs – corpulence moyenne – portait un béret basque ». Olivier Renard-Payen commentait alors : « Ce n’est peut-être pas le célèbre abbé Pierre, mais celui-ci était de Lyon, et l’âge concorde ». Le port du béret est une caractéristique bien connue de l’abbé Pierre. Quant à la taille, sans correspondre précisément à celle d’Henri Grouès – 1,68 m selon une information qui circula en 2023 –, elle est suffisamment proche pour laisser croire à une possible erreur de saisie.
Laetitia Cherel et Marie-France Etchegoin, op. cit., p. 102
Ibid., p. 104
Ibid., p. 105
Ibid., p. 105
Sixtine Chartier et Frédéric Theobald, « Benjamin Lavernhe : « La vie de l’Abbé Pierre est épique, héroïque ! », La Vie, [en ligne :] https://www.lavie.fr/ma-vie/culture/benjamin-lavernhe-la-vie-de-labbe-pierre-est-epique-heroique-91132.php
Les journalistes d’investigation ne s’aventurent pas davantage que lui à en tirer une conclusion ferme. De plus, rappellent-elles avec un certain sens de la nuance, « La guerre, les horreurs de l’Occupation, la torture ou le chantage à la révélation d’activités peu avouables ont parfois fait flancher les plus valeureux. Sans compter les zones grises où évoluent les agents doubles, les informations que l’on donne pour en obtenir d’autres ou préserver des camarades, la porosité de certains milieux, les cohabitations forcées (des résistants et des miliciens dans le même lycée) ». Autrement dit, quand bien même l’individu mentionné serait bien Henri Grouès, on ne saurait en déduire à coup sûr un assujettissement de celui-ci au nazisme. Mais Laëtitia Cherel et Marie-France Etchegoin assurent avoir obtenu des services concernés la confirmation de l’authenticité de cette note.
Laetitia Cherel et Marie-France Etchegoin, op. cit., pp. 102-103
Ibid., p. 103
Après-guerre, un passé qui ne passe pas ?

Une fois la France libérée, celui qui conserve son pseudonyme de résistant fait évidemment connaître ses faits de Résistance, non sans une certaine exagération, passant sous silence le reste. « 1940, 1941, début 1942 : je passe ces années à m’efforcer, du mieux que je peux, de redonner aux jeunes de chez nous une âme, une fierté, une énergie », dit-il simplement. Il assure qu’il n’en savait pas plus sur la politique du maréchal Pétain « que ce que pouvait en connaître le Français moyen, sans information ni formation politique ». Un récit dont l’exactitude paraît bien mise à mal aujourd’hui.
Ibid., p. 75
Ibid., p. 75
Dès 1945, l’abbé Pierre est élu, sous ce nom, à l’assemblée constituante puis à l’assemblée nationale comme apparenté au Mouvement républicain populaire (MRP). Mais ces années d’après-guerre sont le temps d’une tout autre activité pour l’abbé Pierre : les débuts d’Emmaüs. Autour de lui dans ce mouvement humanitaire, se trouvent, outre d’anciens détenus, « des hommes seuls sans attaches, durs de la Légion, anciens volontaires de l’Armée allemande et même ancien Waffen-SS, ou ‘Malgré nous’ incorporés de force par le IIIe Reich », écrit l’historien Pierre Lunel dans sa biographie de l’abbé Pierre, parue en 1989. Également parmi eux, Robert Peyronnet, ministre sous Pétain condamné à la Libération.
Pierre Lunel, L’abbé Pierre. L’insurgé de Dieu, Paris, Éditions n°1, 454 p., pp. 261-262
Pierre Lunel, 40 ans d’amour. L’abbé Pierre et Emmaüs : le temps des apôtres, Paris, LGF & Livre de Poche, 1992, 537 p.
Le choix d’incorporer dans les rangs d’anciens membres, volontaires pour les uns et contraints pour les autres, de la Wehrmacht et de la branche militaire de la SS, a souvent été compris comme une volonté de donner une seconde chance à tous. En effet, l’une des règles fondamentales d’Emmaüs est l’interdiction d’obliger un compagnon à raconter son passé, ainsi formulée : « Nul parmi nous ne sera considéré en fonction d’autre chose que de sa valeur d’homme dans le moment présent, quels que soient son origine, son passé et son opinion ». Une règle qui semble faire écho aux appels à la « clémence » formulée par un Vatican qui s’oppose alors à la dénazification et qui voit dans les procès d’après-guerre une « vengeance politique » loin de la charité chrétienne. L’abbé Pierre offre aux compagnons d’Emmaüs – et peut-être aussi à lui-même, parmi eux – la possibilité de gagner la rédemption et de faire de leur passé table rase.
Axelle Brodiez-Dolino, Emmaüs et l’abbé Pierre, Paris, Presses de Sciences Po, 2008, 378 p., p. 165
Nina Valbousquet, op. cit., pp. 312-314

Le bien mal gardé « secret de l’abbé Pierre »
C’est bien des années plus tard, après l’appel de l’hiver 1954 et nombre de pérégrinations à travers le monde, que les démons semblent ressurgir du passé de l’abbé Pierre.
En mars 1991, interviewé par l’hebdomadaire catholique La Vie, le prêtre déclare « réfléchir sur la notion de ‘Terre promise’ ». Il remet en question la supposée promesse de Dieu au peuple juif, dans la Bible, et, au-delà, le droit des Juifs à un État sur cette terre. Son antijudaïsme, car il s’agit bien d’une critique de la loi vétérotestamentaire, sert un propos antisioniste. Seconde critique, dans la même interview : « Je constate qu’après la constitution de leur État, les Juifs, de victimes, sont devenus bourreaux ». Grouès semble tracer un trait d’équivalence entre les Juifs, à travers l’État d’Israël, et leurs propres meurtriers. Pareille assimilation relève d’un certain antisémitisme, qui fonde ici sa contestation du sionisme. Sionisme qui, on le rappelle, ne saurait être assimilé pleinement et entièrement au peuple juif, dont une grande partie est encore en diaspora voire n’adhère pas au sionisme. Ce sionisme est d’ailleurs loin de se référer uniformément à la promesse divine, argument du seul sionisme religieux. Qui plus est, l’abbé semble tracer une équivalence entre le sionisme proprement dit, à savoir la revendication d’un État pour les Juifs, et les violences auxquelles a pu se livrer cet État par la suite en appliquant une politique à un instant T, politique qui ferait d’eux des « bourreaux » comme si le sionisme était une idéologie prônant en elle-même l’extermination.
Laetitia Cherel et Marie-France Etchegoin, op. cit., p. 338
Pierre-André Taguieff, « L’abbé Pierre et Roger Garaudy. Négationnisme, antijudaïsme, antisionisme », Esprit, n°224, août-septembre 1996, [en ligne :] https://esprit.presse.fr/article/taguieff-pierre-andre/l-abbe-pierre-et-roger-garaudy-negationnisme-antijudaisme-antisionisme-10615, p. 205
Deux ans plus tard, en privé, l’abbé Pierre, âgé alors de 81 ans, semble gagné par un retour du refoulé. À Esteville, où il travaille à un livre avec Bernard Kouchner en présence des écrivains Marek Halter et Michel-Antoine Burnier, il s’écrie : « Quand on relit le livre de Josué, c’est épouvantable ! C’est une série de génocides, groupe par groupe, pour en prendre possession ! Alors, foutez-nous la paix avec la parole de Terre promise ! ». Et de déduire : « que reste-t-il d’une promesse lorsque ce qui a été promis, on vient de le prendre en tuant par de véritables génocides des peuples qui y habitaient, paisiblement, avant qu’ils y entrent ? […] Je crois que – c’est ça que j’ai au fond de mon cœur – que votre mission a été – ce qui, en fait, s’est accompli partiellement – la diaspora, la dispersion à travers le monde entier pour aller porter la connaissance que vous étiez jusqu’alors les seuls à porter, en dépit de toutes les idolâtries qui vous entouraient ».
Michel-Antoine Burnier et Cécile Romane, Le secret de l’abbé Pierre, Paris, 1001 Nuits, 1997, 48 p., pp. 10-11
En employant les termes « alors » et « que reste-t-il », l’abbé établit un lien de causalité entre des épisodes bibliques – dont la lecture littéraliste a été abandonnée par l’Église depuis le concile Vatican II de 1965, marquant la rupture avec deux mille ans de discours antijudaïque – et les événements bien réels et récents des persécutions des Juifs. Cette fois, ce sont les agissements de ces derniers avant leur retour en Israël qui invalident d’avance celui-ci. Des crimes apparemment commis par les Juifs il y a plusieurs millénaires interdiraient aujourd’hui à leurs descendants d’occuper une terre donnée.
Le vieil abbé, en retard sur son temps et sur sa propre Église, apparaît comme archaÏquement attaché à ces dogmes antijudaïques, parlant aussi « encore » des Juifs comme du peuple déicide. Les propos sur les prétendus « génocides » commis par les Juifs furent, eux, rapportés par Michel-Antoine Burnier et Cécile Romane dans Le Secret de l’abbé Pierre, publié en 1997, plusieurs années après avoir été tenus. C’est que l’actualité leur donnait alors de l’écho.
Laetitia Cherel et Marie-France Etchegoin, op. cit., p. 338
Au grand jour
18 avril 1996. Alors que l’ancien député Roger Garaudy ex-communiste, par la suite converti au protestantisme, au catholicisme et à l’islam, fait l’objet d’un procès, son avocat, Jacques Vergès, brandit lors d’une conférence de presse ,un e lettre signée de la main de l’abbé Pierre. C’est un message de soutien à son ancien collègue de l’Assemblée nationale, dont il salue une « étonnante et éclatante érudition, scrupuleuse, sur laquelle chaque propos se fonde », appelant de ses vœux à un débat avec des « historiens vrais ».
Ibid., p. 335

De quoi s’agit-il ? De l’ouvrage de Roger Garaudy intitulé Les mythes fondateurs de la politique israélienne. Au premier rang de ces « mythes » figurerait la Shoah. Ni la Solution finale ni les chambres à gaz n’auraient existé. Les morts dans les camps seraient dus au « typhus » et au « travail forcé », assure l’ex-parlementaire. Le Journal d’Anne Frank serait un « roman, merveilleusement émouvant » et un « apocryphe », et le film Shoah de Claude Lanzmann un « interminable navet ». Plus encore, le terme de « génocide » aurait été employé de manière « tout à fait erronée » au procès de Nuremberg car « il ne s’agit pas de l’anéantissement de tout un peuple comme ce fut le cas pour les ‘exterminations sacrées’ des Amalécites, des Cananéens et d’autres peuples encore ». Non seulement la Shoah, génocide des Juifs, ne serait pas réelle, mais la seule véritable Shoah, le seul véritable génocide, serait la « shoah cananéenne ». Les persécutions de la Seconde Guerre mondiale ne seraient qu’un « pogrom ».
Ibid., p. 335
Pierre-André Taguieff, dans Esprit, op. cit., p. 207
Ibid., p. 206
Pratique de l’Histoire et Dévoiements Négationnistes, « La faute de l’abbé Pierre – Joseph Macé-Scaron, Jean-Loup Reverier – Le Point, 27 avril 1996 », Pratique de l’Histoire et Dévoiements Négationnistes (PHDN), 27 avril 1996, [en ligne :] https://phdn.org/negation/idiotsutiles/abbe-pierre-le-point-19960427-la-faute.html
On voit là la convergence avec les propos tenus en privé par l’abbé Pierre, où l’antijudaïsme mène à l’antisionisme. Mais, en l’occurrence, l’« essentialisation négative du peuple juif comme peuple exterminateur et colonisateur », écrit Pierre-André Taguieff en août 1996 dans la revue Esprit, marque chez Garaudy un passage clair de l’antijudaïsme à l’antisémitisme. Les Juifs, pourfendeurs du « sang impur », feraient eux-mêmes preuve d’un racisme « modèle de tous les autres racismes », écrit-il. En prétendant dénoncer le racisme, Garaudy se fait antisémite.
Pierre-André Taguieff, dans Esprit, op. cit., p. 207
Ibid., p. 207
Dans sa lettre, l’abbé Pierre reprend largement les éléments de langage de Garaudy, évoquant sa propre lecture du livre de Josué et en tirant la conclusion suivante : « La violence ne détruit-elle pas tout fondement de la Promesse ? ».Son antijudaïsme chrétien confine au négationnisme lorsqu’il évoque une « véritable ‘Shoah’ »,commise par les Juifs eux-mêmes, chez Josué. Peut-être même l’adjectif « véritable » laisse-t-il entendre que la Shoah proprement dite n’en était pas une. L’homme d’Église « substitue, à l’accusation traditionnelle de ‘déicide’, celle de génocide », commente Taguieff. Le glissement de l’antijudaïsme à l’antisémitisme essentialisant est ici manifeste.
Ibid., p. 206
Ibid., p. 205
Interviewé sur le sujet le 4 mai suivant, l’historien Pierre Vidal-Naquet réitère la distinction des deux : « Que l’Église soit contre le judaïsme religieux, c’est tout à fait normal. Ce qui est grave dans le texte de l’abbé Pierre, c’est quand il parle de la Shoah de Josué. C’est abominable. Bien entendu, les textes sur Josué sont effrayants, mais ce sont des textes qui sont absolument courants dans la littérature de l’époque. »
François Bonnet et Nicolas Weill (propos recueillis par), « Pierre Vidal-Naquet analyse les relais dont disposent les négationnistes », Le Monde, 4 mai 1996, [en ligne :] https://www.lemonde.fr/archives/article/1996/05/04/pierre-vidal-naquet-analyse-les-relais-dont-disposent-les-negationnistes_3729211_1819218.html
Plus généralement, les propos de l’abbé Pierre donnent lieu à une profonde sidération, bien que certains n’y voient qu’une conséquence de son âge avancé. Le comité épiscopal pour les relations avec le judaïsme « déplore » le soutien du prêtre à Roger Garaudy – l’emploi de ce terme plutôt que celui de « condamner » ou « dénoncer » témoignant du malaise qui y règne. Serge Klarsfeld, lui, émet des doutes sur le fait que l’abbé aurait sauvé des Juifs pendant la guerre. Bernard Kouchner répond à l’abbé dans Le Monde, aux mots de « Que veux-tu dire ? Dès lors qu’un Juif aurait commandé un massacre il y a deux millénaires, la Shoah se justifierait-elle mieux ? ». Le négationniste Robert Faurisson, lui, se montre à la fois heureux que des thèses proches des siennes soient ainsi reprises et amer qu’il ait fallu tant de temps pour en arriver là. Dans l’opinion publique française, un sondage souligne que, si 24 % des Français sont critiques de l’abbé Pierre, 9 % l’approuvent pour cela, et 64 % continuent de l’apprécier.
Simon Epstein, « Roger Garaudy, Abbé Pierre, and the French Negationists », dans WISTRICH Robert S. (dir.), Holocaust Denial: The Politics of Perfidy, Berlin/Boston, De Gruyter Brill, 285 p., pp. 85-107, p. 98 [en ligne :] https://www.degruyterbrill.com/document/doi/10.1515/9783110288216.85/html?srsltid=AfmBOooPLFyvt4hD9UDhdnKGYlpuoZ4qF9iiwym49T2NZqyqEBr91TpI
Ibid., p. 94
Laetitia Cherel et Marie-France Etchegoin, op. cit., p. 338
Simon Epstein, op. cit., p. 102
Ibid., p. 100
L’intéressé, qu’on connaît pour son opiniâtreté dans bien des combats, persiste et signe, se faisant plus ouvertement négationniste pour mieux critiquer l’existence d’Israël. Il estime que le bilan de la Shoah a été « exagéré », quelque chose de « tout à fait normal » au lendemain de la guerre selon lui. Et d’ajouter dans Libération : « sur la question des chambres à gaz, il est vraisemblable que la totalité de celles projetées par les nazis n’ont pas été construites ». C’est là une minimisation de la Shoah. Fort de sa lutte contre la pauvreté, il se targue de recevoir le soutien du « Français moyen », qui lui dirait : « Merci, parce que vous avez eu le courage de mettre en cause un tabou ». Son négationnisme désormais public se donnerait-il à comprendre, au même titre que son action à Emmaüs, comme un engagement social ? Tel semble être le sens de cette prise de parole.
Nicolas Weill, « L’abbé Pierre confirme son soutien aux thèses négationnistes de Roger Garaudy », Le Monde, 21 avril 1996, [en ligne :] https://www.lemonde.fr/archives/article/1996/04/21/l-abbe-pierre-confirme-son-soutien-aux-theses-negationnistes-de-roger-garaudy_3733073_1819218.html
Laetitia Cherel et Marie-France Etchegoin, op. cit., p. 341
Ibid., p. 341
Le 30 avril, dans un communiqué, l’abbé Pierre se décide finalement à condamner ceux qui veulent « nier, falsifier ou banaliser la Shoah ». Un pas en avant. Mais, en une contradiction totale, il affirme que ranger Garaudy parmi ces négationnistes serait « une imposture ». Le 31 mai, parti se mettre en retrait en Italie, il se dit victime du « lobby sioniste international » dont l’influence irait jusqu’à l’Église catholique en France. Le 17 juin, il prête à ce « lobby » la volonté d’établir « l’Empire proclamé à Abraham » du Nil à l’Euphrate. Enfin, le 21 juin, le quotidien d’extrême droite Présent cite ses propos clairement inspirés de Garaudy comme quoi les sionistes « ont adopté des thèses totalement identiques à celles d’Hitler sur le racisme » et « emploient les mêmes moyens, l’assassinat ». Deux pas en arrière.
Ibid., p. 342
Ibid., p. 342
Simon Epstein, op. cit., p. 100
Ibid., p. 100
Pierre-André Targuieff dans Esprit, op. cit., p. 210
Le 23 juillet 1996, il annonce enfin, dans un communiqué à La Croix, « retirer [s]es propos » qui ont été « exploités par des courants qui jouent dangereusement avec les périls antisémites, et néofascistes et néonazis ». Il publie dans le même journal une lettre à son « cher Roger ».
Laetitia Cherel et Marie-France Etchegoin, op. cit., p. 343
Mémoires sélectives
En 1997, l’abbé Pierre retrouve le titre de personnalité préférée des Français, qui lui a échappé d’une place l’année précédente à la suite de l’affaire Garaudy. À la fin de sa vie, il manifeste quelques regrets dans une interview au Point : « On m’a traité d’antisémite, moi qui ai beaucoup risqué ma vie pour mes frères fils d’Abraham », disant avoir perdu « d’excellents amis ». Au lendemain de sa mort, la Ligue des droits de l’Homme publie un communiqué selon lequel « sa condition d’homme engagé l’a conduit à mener bien des combats retentissants que l’erreur d’amitié commise avec Roger Garaudy ne peut affaiblir ».
Jérôme Cordelier (propos recueillis par), « L’abbé Pierre : ‘mes regrets…’ (II) – Page 3 », Le Point, 1er février 2014, [en ligne :] https://www.lepoint.fr/societe/l-abbe-pierre-mes-regrets-ii-page-3-01-02-2014-1786874_23.php#11
HERSZKOVICZ Albert, « Abbé Pierre : quand il déclarait son antisémitisme. », Le Club de Mediapart, 18 juillet 2024, [en ligne :] https://blogs.mediapart.fr/albert-herszkowicz/blog/180724/abbe-pierre-quand-il-declarait-son-antisemitisme

Sa proximité publique avec l’antisémitisme est à peine évoquée, apparaissant comme une brève anomalie et comme un lien d’« amitié » humain et non intellectuel. Quant à Bernard Kouchner, il semble lui avoir pardonné, lui écrivant dans une nouvelle tribune au lendemain de l’affaire : « L’antifasciste que tu as toujours été revient dans son camp ». Le soutien de l’abbé Pierre à Roger Garaudy aurait-il été une parenthèse dans une vie dédiée à la lutte contre les oppressions ? À l’aune de ce qui est aujourd’hui su des propos et écrits d’Henri Grouès, tant dans sa prime jeunesse que pendant la guerre et par la suite en privé, on peut de bon droit en douter. Son parcours intellectuel donne à le comprendre comme un chrétien dont l’attention portée au peuple juif vira plus d’une fois à l’obsession et à l’essentialisation antisémite. S’il sauva des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale, il ne renonça jamais à ses préjugés. Et, malgré son action auprès du maquis quand les persécutions des Juifs faisaient rage, il semble avoir voulu éviter qu’on scrute par trop son passé : alors que certains l’en estimaient digne, il n’a jamais cherché à être reconnu comme Juste parmi les nations.
Laetitia Cherel et Marie-France Etchegoin, op. cit., p. 343
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Pour citer cet article
Alban Wilfert, « Antisémite, l’abbé Pierre ? réflexions autour d’une publication récente », RevueAlarmer, mis en ligne le 17 juillet 2025, https://revue.alarmer.org/antisemite-labbe-pierre/