22.08.22 Le Brassard. Alexandre Villaplane, capitaine des Bleus et officier nazi. Un livre de Luc Briand.

Stéphane Hadjeras, Georges Carpentier : L’incroyable destin d’un boxeur devenu star, Editions Nouveau Monde, 2021.
Sylvain Ville, « Georges Carpentier, naissance d’une célébrité sportive (1894-1926) », Genèses, 2016/2 (n° 103), p. 49-71.

Rares sont les noms de sportifs et sportives du premier XXe siècle à avoir traversé les affres de l’oubli. Celui du boxeur Georges Carpentier(1894-1975) est revenu récemment au premier plan. L’intérêt pour la question du genre a permis de mettre en lumière la joueuse de tennis Suzanne Lenglen(1899-1938) et peut-être plus encore Alice Milliat (1884-1957) qui milite pour la pratique sportive féminine. Les trajectoires tragiques du footballeur Matthias Sindelar (1903-1939), du nageur Alfred Nakache (natation, 1915-1983) ou du boxeur Victor Young Perez (1911-1945) ont pu intéresser auteurs et réalisateurs. L’exemple d’Alexandre Villaplane était parfois mentionné comme le mouton noir du sport français pour son rôle funeste pendant l’Occupation, figurant volontiers parmi les « sombres histoires de football ». Néanmoins, aucun auteur n’avait pris soin d’étudier plus avant la trajectoire de ce footballeur si singulier. C’est la tâche à laquelle se livre Luc Briand qui, avec Le Brassard, dresse un portrait saisissant du sportif devenu criminel.

Gianni Clerici, Suzanne Lenglen. La Divine, Viviane Hamy, 2021

La figure de militante est au cœur d’une bande dessinée parue récemment, Chandre, Didier Quellat-Guyot, Laurent Lessous, Marie Millote, Alice Milliat pionnière olympique, Petit à Petit, 2021.

Olivier Margot, L’homme qui n’est jamais mort, Éditions JC Lattès, 2020.

Renaud Leblond, Le nageur d’Auschwitz, Editions de l’Archipel, 2022

La vie du boxeur assassiné pendant les marches dans la mort, alors que les troupes soviétiques s’apprêtent à libérer le camp d’Auschwitz où il avait été déporté, inspire le réalisateur Jacques Ouaniche pour le biopic Victor « Young » Perez. Champion du monde, sorti en 2013.

Frédéric Bernard, Samy Mouhoubi, Olivier Villepreux, Débordements, sombres histoires de football 1938-2016, Anamosa, 2016.

Le sous-titre de l’ouvrage, « capitaine des Bleus et officier nazi » explique à lui seul le point de départ choisi pour saisir le personnage. C’est sur le quai de Villefranche-sur-Mer (Alpes-Maritimes) que l’auteur choisit de nous présenter l’homme. Le 21 juin 1930, un groupe embarque là sur le Conte Verde, un paquebot à destination de l’Amérique du Sud, car l’Uruguay accueille trois semaines plus tard la première Coupe du monde de football. Luc Briand y présente deux des joueurs français composant le groupe, le gardien de but Alexis Thépot et le Belfortain Etienne Mattler, avant de décrire brièvement celui qui sera le capitaine de l’équipe nationale pendant la compétition : Alexandre Villaplane.

Luc Briand, Le Brassard. Alexandre Villaplane, capitaine des Bleus et officier nazi, Plein Jour, 2022.

L’ascension des années 1920 : des quartiers d’Alger à la première coupe du monde de football

L’auteur revient alors sur l’enfance du footballeur. En quelques pages, il décrit la complexité d’une famille d’Européens d’Algérie, d’Européens en Algérie , d’une famille entre deux rives. Le père, Joseph Villaplane, fils d’Espagnols né à Boufarik, rencontre sa deuxième épouse, Nathalie Baldare, lors d’un séjour de quelques mois en métropole. Le couple s’installe en Algérie, où naissent leurs enfants au début du XXe siècle. Alexandre Villaplane voit le jour en 1904 et passe son enfance et son adolescence à Alger, dans le quartier Belcourt. C’est là qu’il s’initie au football, endossant le maillot rouge et bleu du Gallia Sports (club omnisports algérois fondé en 1908) à l’âge de 12 ans. Quelques années plus tard, en 1921, sa famille décide de s’installer près de Cette (qu’on écrira Sète à partir de 1928) et de Poussan , le bourg d’où sa mère est originaire. La ville portuaire possède un club de football de premier plan, le FC Cette, dirigé par l’ancien international Georges Bayrou et entraîné par le joueur écossais Victor Gibson. Flirtant avec le professionnalisme en ces heures d’« amateurisme marron », les joueurs officiellement amateurs étant de fait en réalité rémunérés sous une forme ou sous une autre (indemnités, primes, avantages, emplois plus ou moins fictifs,…), le club est sanctionné en plein cœur de la saison 1921-1922 par une suspension de quelques semaines.

C’est dans ce contexte social particulier que le footballeur débute sa carrière de sportif de haut niveau. Il ne jouit évidemment pas d’un statut de joueur professionnel qui n’existe pas encore en France, mais l’argent tient une place indéniablement importante dans sa trajectoire. C’est par intérêt qu’il rejoint le petit club de l’Union Cycliste Vergézoise (dans le Gard) pour une courte saison en 1923-1924, cédant aux sirènes de la Société des eaux minérales qui possède l’usine Perrier. En échange de ses talents en crampons, Alexandre Villaplane obtient une place de représentant de commerce pour Perrier, sans avoir à vendre beaucoup de petites bouteilles. Le service militaire qu’il effectue à Montpellier lui permet de poursuivre sa carrière au FC Cette. Le 11 avril 1926, il enregistre sa première sélection en équipe de France face à la Belgique et entame alors une carrière internationale riche de vingt-cinq matchs . En 1927, il signe au Sporting Club Nîmois, là encore pour des raisons pécuniaires bien plus que sportives puisque sa nouvelle équipe, moins prestigieuse que celle de Cette, pourrait l’éloigner de la sélection (ce qui ne sera pas le cas).

L’équipe de France de football s’apprête à affronter son adversaire hongrois stade de Colombes le 24 février 1929. De gauche à droite : Wallet, Dewaquez, Chantrel, Lieb, Nicolas, Banide, Villaplane, Galey, Henric, Bertrand et Veinante. Agence Rol.

Le recrutement d’Alexandre Villaplane à Paris par le Racing Club de France inscrit sa trajectoire personnelle dans un mouvement qui la dépasse amplement. Le club, giron jusqu’alors de l’amateurisme, devient un des pionniers du professionnalisme naissant, son président Jean-Bernard Lévy suivant le pas à l’industriel automobile Jean-Pierre Peugeot. Plus grand monde n’est dupe quant à l’hypocrisie du système qui permet à un footballeur comme Alexandre Villaplane de jouir de l’exploitation d’un café dans le XVIIe arrondissement en échange de ses talents sportifs. Le dirigeant voulant construire la meilleure des équipes s’offre la présence des joueurs les plus en vue qu’il rémunère sans le dire. Pour le footballeur, le tournant est important. A Paris, il subit le dépaysement d’un méridional qui quitte soleil et amis, tandis que sur le terrain, il s’affirme et hérite même du brassard de l’équipe de France, quand l’incontestable Paul Nicolas disparaît peu à peu de la sélection. Le titre de capitaine n’assagit néanmoins pas Alexandre Villaplane qui se voit privé de matchs avant la Coupe du monde, pour avoir participé à une virée nocturne (au Vel d’Hiv) à la veille d’une rencontre face à l’équipe de Belgique.

Une du 26 février 1929 du journal Le Miroir des sports.

Malgré cet écart, qui coûte quand même sa place à un de ses comparses, le gardien de but Antonin Lozes, Alexandre Villaplane conserve le brassard de capitaine pendant la Coupe du monde 1930 en Uruguay. Après le voyage en paquebot, pendant lequel l’entraînement se fait sur le pont du navire et l’ambiance ressemble fort à celle d’une croisière, la délégation française reçoit les acclamations d’un pays nourri d’une émigration hexagonale. Du premier but de l’histoire de la Coupe du monde, inscrit par Lucien Laurent à la 19e minute du match France-Mexique, aux péripéties d’un bouillonnant France-Argentine et à la défaite fatale face au Chili, le lectorat français n’a écho que par les récits que deux joueurs, Augustin Chantrel et Marcel Pinel, envoient par « câblo-transmission » à L’Auto, le principal journal sportif de cette première partie de siècle.

La chute des années 1930 entre réputation ternie et carrière sportive déclinante

Le retour en France marque une nouvelle période dans la trajectoire d’Alexandre Villaplane, « comme s’il n’était jamais descendu du Conte Verde » (p. 105). Ses prestations sportives déçoivent, il se fait remarquer pour son inconstance. Les menaces de mort qu’il profère à l’encontre d’un de ses adversaires lors d’un match de championnat ont raison de ses années parisiennes. Il retourne alors au SC Nîmois, non sans avoir purgé quelques semaines de suspension, mais n’y reste guère et rejoint pendant l’été 1931 l’Olympique d’Antibes, dont le président dirige le casino de Juan-les-Pins. C’est là que, « hypnotisé par ce spectacle de l’argent et de la séduction » (p. 111), Alexandre Villaplane est employé, malgré son inscription au fichier central de la sûreté publique. L’affaire rocambolesque d’un billet de loterie espagnole vainqueur, caché, volé, non-encaissé, interdit, retrouvé, vaut au footballeur quelques ennuis judiciaires, alors que son club est sanctionné pour avoir truqué un match contre le SC Fives.

Après une dernière expérience à l’OGC Nice, la carrière d’Alexandre Villaplane semble s’écarter définitivement des terrains de football. Une affaire de paris hippiques l’empêche de se relancer une dernière fois en tentant l’aventure du FC hispano-bastidien. Il participe à une substitution d’un cheval ordinaire par un pur-sang qui permet aux rares parieurs de remporter largement leur mise. Suspendu par la Fédération Française de Football, l’ancien capitaine de l’équipe de France voit sa réputation se dégrader toujours davantage, d’autant qu’il est condamné à six mois ferme d’emprisonnement. Il ne trouve plus guère que l’AS Bene Mizrah pour accueillir ses dernières foulées de footballeur.

Au service des nazis dans les années 1940

Lorsque la guerre arrive, Alexandre Villaplane rejoint le 416e régiment de pionniers, dans le Jura. Il se dit encore footballeur, profession qu’il n’a officiellement exercée que bien peu de temps puisque l’amateurisme était le seul statut autorisé jusqu’en 1932. Sans avoir « vraiment eu à combattre » (p. 153), il est fait prisonnier par l’armée allemande mais parvient rapidement à s’échapper et à retrouver Paris dès août 1940. Condamné de nouveau à l’automne pour une affaire de recel datant de 1937, il rencontre pendant son incarcération à Fresnes Henri Chamberlin. Pour échapper au bagne, ce voyou confirmé prend une fausse identité et vit sous le nom d’Henri Lafont. « Dans le chaos des jours qui suivent l’armistice » (p. 157), il s’échappe du camp de Cepoy où les prisonniers du Cherche-Midi avaient été regroupés, non sans être aidé de deux Allemands incarcérés pour espionnage. Profitant des réseaux de ses comparses, Lafont-Chamberlin devient informateur pour l’occupant et constitue une équipe de repris de justice qu’il fait sortir de prison, parmi lesquels se trouve Alexandre Villaplane, libéré en février 1941. Dans le Paris de l’Occupation, il appartient désormais à la « bande de Lafont », la Carlingue de la rue Lauriston (16e arrondissement de Paris) qui œuvre entre rapine et collaboration active et meurtrière, et fait figure de « Gestapo française ».

Continuant ses petits larcins, Alexandre Villaplane ne passe pas ces années d’Occupation dans une impunité absolue. Obligé de fuir en zone libre, où il est aidé par un de ses anciens partenaires, Louis Cazal, à qui il ne révèle bien sûr pas la nature exacte de ses activités, il est emprisonné quelques mois plus tard par les Allemands au Cherche-Midi avant d’être transféré au camp d’internement de Royallieu à Compiègne, d’où il est libéré au bout de quelques semaines, par mesure des autorités allemandes, sur intervention de la bande de Lafont.

Désormais, l’inexorable chute d’Alexandre Villaplane se nourrit des horreurs du temps auxquelles il prend une part active. Il figure ainsi parmi les individus que croise Geneviève de Gaulle lors de son arrestation en juillet 1943. Sa trajectoire le mène à la naturalisation allemande et au grade de sous-lieutenant (Untersturmführer), alors qu’il encadre la brigade arabe, créée par le violent antisémite Mohamed El-Maadi en accord avec Henri Lafont.

Cette brigade nord-africaine terrorise la population de Périgueux, où elle exerce « les contrôles violents et les arrestations arbitraires de tout homme portant des chaussures de marche ou des habits crottés » (p. 196). C’est aussi à Alexandre Villaplane et à ses hommes qu’il revient le soin, le 25 mars 1944, de fusiller vingt-sept résistants emprisonnés à Limoges, en réponse à la mort de deux officiers de la division Brehmer. Puis, le 27 mars, 25 autres otages pour venger d’autres attaques. L’avidité d’Alexandre Villaplane n’a pas disparu et son expérience des assassinats se superposent à la pratique continue de ses vols. La chasse aux résistants se mêle pour lui à sa quête d’or.

Sentant le vent tourner, il parvient à laisser à un ancien souteneur le commandement de la Brigade qui continue ses campagnes criminelles, et cherche à rallier Paris. Il s’y réfugie, mais il est arrêté au début de la Libération, en possession de papiers d’identité au nom de Louis Cazal. Alors que l’enquête est menée sur les exactions de la bande de Lafont, le nom d’un autre footballeur apparaît. L’attaquant international André Simonyi, hongrois naturalisé qui évolue au Red Star (et dans l’équipe fédérale de Paris-Capitale en 1943-1944), est en effet soupçonné de recel au profit d’Alexandre Villaplane, mais certifie que ses relations avec lui ne furent jamais que sportives. Le procès de la Carlingue débute le 1er décembre 1944. Un peu plus de trois semaines plus tard, la sentence est exécutée : le 27 décembre, Alexandre Villaplane et ses partenaires des années noires sont fusillés.

Etape après étape, Luc Briand suit la trajectoire si complexe de ce héros devenu escroc avant de revêtir le costume du salaud. Le lecteur aurait tort d’être décontenancé par le goût de l’auteur pour le flash-back et pour le pas de côté. Si quelques éléments semblent peu utiles à la démonstration, tels les rapprochements avec Albert Camus qui aurait pu croiser la route d’Alexandre Villaplane lorsqu’ils étaient enfants (p. 33-34) ou la description de la tenue du footballeur et du ballon au début des années 1920 (p. 36-38), ils participent d’un art du récit qui permet de mieux saisir les nuances d’une biographie où se mêlent gloire et déshonneur. Les parallèles entre la vie exemplaire du résistant Etienne Mattler et la chute continue du collaborateur Alexandre Villaplane sont particulièrement parlants.

Derrière un style qui pourrait faire croire à la biographie romancée et qui rend la lecture très agréable, l’auteur démontre une réelle maîtrise de l’archive. Luc Briand repose en effet son récit sur des sources variées qu’il sait confronter avec talent les unes aux autres et le lecteur, y compris le plus initié à ce type d’exercice, ne peut être qu’impressionné par le remarquable travail documentaire nécessaire pour comprendre qui était Alexandre Villaplane. Ainsi, au-delà du seul portrait sportif du premier capitaine français en Coupe du monde, sa figure vient utilement nourrir la connaissance des salauds ordinaires de l’Occupation, dont le parcours de vie prend davantage la forme d’une dégringolade vers l’abject que d’une trajectoire linéaire d’un criminel-né.

Pour citer cet article

François Da Rocha Carneiro, « Le Brassard. Alexandre Villaplane, capitaine des Bleus et officier nazi.  Un livre de Luc Briand », RevueAlarmer, mis en ligne le 22 août 2022, https://revue.alarmer.org/le-brassard-alexandre-villaplane-capitaine-des-bleus-et-officier-nazi-un-livre-de-luc-briand/

retour
enregistrer (pdf)

Pour aller plus loin