08.08.20 White riot, un film de Rubika Shah

Mars 1977. Le groupe britannique The Clash sortent leur premier single, White Riot, qui les place d’emblée sur le devant de la scène punk. Le titre est inspiré des affrontements qui se sont déroulés l’année précédente lors du carnaval de Notting Hill, festivité initiée par la communauté jamaïcaine de Londres. Présents, Joe Strummer et Paul Simonon sont témoins des violences policières contre les carnavaliers qui en retour se défendent. Cet épisode est régulièrement évoqué dans l’histoire de The Clash, qu’il s’agisse de documentaires ou d’ouvrages . Joe Strummer tire de cet événement « White Riot », appel à la révolte des classes populaires, dont la réception ambivalente est révélatrice de la crise profonde qui marque alors l’Angleterre.

Voir par exemple The Clash. Strummer, Jones, Simonon, Headon, Au diable Vauvert, 2008.

Bien que les paroles de la chanson ne laissent guère de doute sur la signification de l’ « émeute blanche » que chante The Clash, une partie de l’audience du groupe veut y voir un manifeste raciste en résonance avec ses propres opinions.

Black man gotta lotta problems

But they don’t mind throwing a brick

White people go to school

Where they teach you how to be thick

Extrait des paroles de White Riot. Joe Strummer/Paul Simonon
The Clash, White riot à l’occasion du « carnaval » anti-nazi de 1978.

Car, au milieu des années 1970, le racisme gangrène largement la société britannique, jusque dans le milieu punk naissant. Ce dernier n’est pas sans ambiguïté à cet égard, qu’il s’agisse d’une partie de son public, en particulier celui drainé par le courant de la , dont Sham 69 de Jimmy Pursey est l’un des groupes les plus emblématiques, ou de certains autres groupes, à commencer par Skrewdriver qui deviendra dans les années 1980 porte-étendard de la scène musicale néo-nazie.

Courant du punk qui se revendique des classes populaires et qui rallie le mouvement skinhead. Pour un aperçu sur la oï voir l’article de Gildas Lescop, « Honnie soit la Oi ! » Naissance, émergence et déliquescence d’une forme de protestation sociale et musicale », Volume ! [Online], 2 : 1 | 2003.

Au milieu des années 1970, racisme et xénophobie tiennent le haut du pavé au Royaume-Uni. Le National Front multiplie les manifestations et accroît son audience, en particulier au sein des couches populaires, tandis que le député Enoch Powell, figure de proue du Parti conservateur, se fait chantre de théories qui ne sont pas sans rappeler celle du « Grand remplacement » en appelant notamment à l’expulsion des immigrés et de leurs enfants nés au Royaume-Uni. Cette vague de racisme traverse l’ensemble de la société britannique, y compris des artistes de premier plan. David Bowie multiplie les provocations et déclare que la Grande-Bretagne « est prête pour un leader fasciste », tandis que Rod Stewart et Eric Clapton affichent ouvertement leur soutien à Enoch Powell. Clapton va jusqu’à se lancer dans une longue diatribe raciste en 1976 lors d’un concert à Birmingham, déclarant notamment :

Stop Britain from becoming a black colony. Get the foreigners out. Get the wogs out. Get the coons out. Keep Britain white. I used to be into dope, now I’m into racism. It’s much heavier, man.

(Il faut empêcher que la Grande-Bretagne ne devienne une colonie noire. Il faut expulser les étrangers. Il faut expulser les métèques. Il faut expulser les nègres. Il faut garder la Grande-Bretagne blanche. J’étais dans la drogue, mais maintenant je suis dans le racisme. C’est bien plus puissant mec). 

Cité dans Barry Miles, London calling. A countercultural history of London since 1945, London, Atlantic, 2010

C’est à la suite de cette déclaration qu’est né Rock Against Racism (RAR), une initiative lancée par un petit groupe d’activistes et qui constitue le cœur du film de Rubika Shah White Riot.  La réalisatrice retrace avec ce documentaire l’histoire de RAR, de sa naissance jusqu’au Carnaval anti-nazi organisé le 30 avril 1978 dans les rues de Londres : cent mille personnes défilent alors de Trafalgar square jusqu’à Victoria Park, où se tient un immense concert rassemblant, entre autres, The Clash accompagné de Jimmy Pursey, le Tom Robinson Band et Steel Pulse.

Le documentaire reconstitue le contexte de la période où les meurtres racistes ne sont pas rares et la police se montre plus que complaisante avec l’extrême-droite, quand elle n’est pas elle-même à l’origine des violences contre les minorités. Le projet de RAR, porté par une poignée de personnes (dont Red Saunders ou Roger Huddle) est simple : s’organiser pour lutter contre le National Front et le racisme en s’appuyant sur la culture et en premier lieu la scène musicale. Le RAR entend s’emparer du terrain culturel à un moment où la musique est en plein bouillonnement. Non seulement le punk est en pleine effervescence, mais ska et reggae connaissent un succès croissant. La musique illustre d’ailleurs largement ce qui traverse alors la société britannique, marquée par son héritage colonial et un prisme raciste. Ska et reggae proviennent des anciennes colonies et sont alors avant tout des musiques qui demeurent très largement limitées aux populations noires, mais ces musiques irriguent et influencent une nouvelle génération de musiciens blancs, de Madness à The Clash, qui participent à leur diffusion et ainsi au décloisonnement de la société anglaise.

Rubika Shah noue les différents fils d’une histoire où le politique se mêle au musical, et où le musical devient un instrument de lutte politique. Le RAR, porté par quelques militants dont les interviews nourrissent le documentaire, essaime à travers tout le pays, notamment grâce à un fanzine, TempoRARy hoarding, et à la création d’un matériel graphique (badges, affiches…) largement repris dans le documentaire. Les comités RAR viennent contrer le National Front qui tente d’investir lui aussi le champ culturel, lançant lui aussi un fanzine (British movement) afin de récupérer le mouvement skinhead, qui émane de la classe ouvrière blanche.

Une affiche du « carnaval » du 30 avril 1978.

Le ralliement de groupes phares au RAR, qu’il s’agisse de punks (The Clash, X-Ray Spex, Buzzcocks…) ou reggae (Steel Pulse), l’appui apporté par la presse musicale (le New Musical Express et le Melody Maker) et la création en 1977 de l’Anti-Nazi League qui investit le champ du politique, complétant ainsi l’investissement du culturel par RAR, aboutissent à l’organisation de l’immense manifestation londonienne du 30 avril 1978, point d’orgue du mouvement lancé deux ans plus tôt par une demi-douzaine de personnes. White Riot offre une plongée réussie dans ce moment d’histoire, tout en entrant en résonance avec une certaine actualité, non pas tant en raison du hasard, mais bien davantage de la persistance du racisme et des violences policières.

Bande-annonce officielle du film.

Pour citer cet article

Tal Bruttmann, « White riot. Un film documentaire de Rubika Shah », RevueAlarmer, mis ligne le 8 août 2020, https://revue.alarmer.org/white-riot-un-film-documentaire-de-rubika-shah/

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