27.07.24 « Je n’ai pas oublié… ». Histoires de la Shoah par balles, une bande dessinée de Pierre-Roland Saint-Dizier et Christophe Girard

La Seconde Guerre mondiale vue à travers la bande dessinée et le récit graphique

Enseigner l’histoire de la Shoah, et, depuis une douzaine d’années celle de sa mémoire suppose une réflexion constante sur les sources à mobiliser pour un cours. Elles sont abondantes et variées : textes officiels (lois, ordonnances, décrets, arrêtés, circulaires, télex émanant du pouvoir hitlérien, des autorités occupantes, du gouvernement de Vichy et de son administration), discours, photographies, extraits de correspondances, de journaux intimes, articles de presse, témoignages, dessins, plans, doivent être sourcés, recoupés, contextualisés. Les œuvres d’art, la littérature et le cinéma sont également d’intéressantes portes d’entrée pour aborder l’histoire et la mémoire de la Shoah.

Depuis plusieurs années, un nouveau support permet la diffusion de la connaissance historique. Il s’agit des bandes dessinées, des récits (plutôt que romans) graphiques qui relatent des événements majeurs de la Seconde Guerre mondiale. A titre d’exemples, les éditions Casterman ont publié une série intitulée Femmes en résistance, autour de figures comme Berty Albrecht, Sophie Scholl ou Mila Racine, avec la participation de l’historienne Emmanuelle Polack. La panthéonisation de Missak et Mélinée Manouchian a permis de mieux faire connaître au grand public l’histoire des FTP-MOI. Co-édité par Les Arènes et le Ministère des Armées, Missak Manouchian, une vie héroïque, dont les auteurs sont Didier Daeninckx, Mako, et Dominique Osouch, bénéficie d’un dossier de quarante pages sur les étrangers dans la résistance rédigé par Denis Pechanski. L’histoire de Marcel Rajman sert de fil directeur à la BD Du sang dans la clairière. Co-auteur avec le dessinateur Thomas Tcherkézian de l’ouvrage Missak, Mélinée et le groupe Manouchian, Jean-David Morvan est également scénariste de la bande dessinée consacrée à la résistante Madeleine Riffaud et de celle adapté du parcours de Ginette Kolinka. En 2023, Simon Louvet avait retracé l’histoire de sa famille juive, les Adato, en utilisant un compté Twitter dédié. Des membres de cette famille ont été déportés, certains ont été cachés, et d’autres engagés dans un réseau de résistance. Mis en images par Remedium, le récit graphique Isidore et Simone, juifs en résistance, a connu un succès mérité . Tous ces ouvrages, associés à des documents historiques, peuvent faire l’objet d’un support de travail en classe, ou bien d’une lecture autonome associée à un exposé. Le regard de l’historien demeure en effet indispensable, même avec ce medium, car il est garant de l’exactitude des événements relatés.

Le présent ouvrage « Je n’ai pas oublié… » Histoires de la Shoah par balles raconte l’histoire de la Shoah, la réflexion sur les traces et la mémoire, à travers le partenariat entre l’association Yahad-In-Unum et l’Institut national universitaire Champollion d’Albi. Encadrés par leurs professeurs Sandrine Victor, Thibault Courcelles et Ygal Fijalkow, des étudiants en histoire, géographie et sociologie suivent un enseignement scientifique leur permettant d’interroger et d’analyser le processus génocidaire dont les populations juives et tsiganes ont été les victimes. Un séminaire de terrain en Europe orientale leur permet de documenter les lieux des massacres et d’interroger des témoins des tueries. Ces témoignages tardifs, véritables « archives orales », sont ainsi confrontés aux archives écrites, aux corpus documentaires et aux références bibliographiques.

Le narratif de la bande dessinée, scénarisé par Pierre-Roland Saint-Dizier et mis en images par Christophe Girard prend pour fil directeur l’histoire d’un journaliste. Inspirée de faits réels, et soucieuse d’exactitude, La Shoah par balles questionne et met en perspective l’ensemble des connaissances que nous avons de la Shoah, ainsi que les manières que nous avons de les mobiliser : les représentations, les biais cognitifs, les focalisations, les enjeux mémoriels y compris dans leur contexte géopolitique, mais aussi les pratiques pédagogiques de l’histoire scolaire. Le graphisme clair, qui nous donne à voir des visages dessinés avec précision rend l’ouvrage très agréable à lire. Des cartes nous permettent d’appréhender la géographie des communautés juives, le découpage de la Pologne entre 1939 et 1945, ou encore la localisation des centres de mise à mort, tandis que des plans décrivent la topographie des lieux, et que des notes de bas de page bienvenues précisent le vocabulaire, ainsi que le contexte et fournissent des références bibliographiques.

Si le titre comporte l’expression « Shoah par balles », popularisée par les livres du père Patrick Desbois et surtout par l’importante et précieuse activité de recherche et de documentation de l’association Yahad-In-Unum, on peut préférer une autre formulation, comme « fusillades de masse ». En effet, celles-ci ont eu lieu à différentes échelles, puisque l’anéantissement des populations juives était souvent, dans un territoire donné, perpétré sur plusieurs mois et combinait de multiples techniques de mise à mort. Les Einsatzgruppen sont entrés en action au cours de l’été 1941. Suite au déclenchement de l’opération Barbarossa, ces unités de tuerie mobiles divisées en Einsatzkommandos et Sonderkommandos et appuyées, selon la région, par des supplétifs ukrainiens, lettons, ou lituaniens, opèrent un minutieux ratissage d’abord en Pologne orientale puis dans les territoires soviétiques. Ils y perpètrent des fusillades systématiques, rendant judenfrei et judenrein un vaste espace s’étendant des pays baltes au Caucase.

Lublin, un épicentre du projet d’extermination

La narration débute par une plongée immédiate dans l’histoire du génocide et de la guerre, dans la région emblématique de Lublin où l’élimination des Juifs est révélatrice du projet d’ingénierie raciale nazie, dans un territoire pensé selon une logique d’appropriation coloniale. Les prises de décisions multiples s’expliquent par la polycratie nazie, les généraux SS rendant compte de leur action au plus haut niveau, à Berlin, alors que l’administration est sous les ordres de Hans Frank. Si la guerre contre l’URSS permet des avancées en territoire soviétique, c’est au prix de lourdes pertes, tant humaines que matérielles, et la victoire décisive se fait attendre. On comprend mieux la nécessité de l’utilisation d’une main d’œuvre juive grâce au travail forcé, qui suppose de ne pas éliminer la totalité des individus, et de louer aux industriels ceux considérés comme aptes, et pouvant ainsi temporairement survivre, en étant utilisés par la Wehrmacht. Ces multiples enjeux sont d’ailleurs très bien montrés au fil de l’ouvrage.

Scène d’une exécution ordinaire

Arrêtons-nous sur ces premières pages et ce qu’elles nous apprennent. Dans un village des environs de la ville polonaise de Lublin, en 1942, l’arrivée de militaires allemands, fantassins et cavaliers, bouscule violemment la quiétude de la population. Sur une colline surplombant les maisons, une adolescente portant des fagots de bois ramassés dans la forêt entend le bruit des voix, des bottes dans les portes et les murs, le brouhaha de celles et ceux qui sont contraints de sortir de chez eux et de se rassembler. Les traces des violences sont immédiates : alors que les habitants sortent des maisons, les mains en l’air, une femme apparaît à moitié dévêtue, la lèvre sanguinolente, signes de la brutalité dont elle vient d’être victime. On sait aujourd’hui que les viols étaient fréquents. Un groupe d’hommes adultes est séparé du reste de la population : ils sont sélectionnés pour être envoyés dans un camp de travaux forcés. Une colonne de quelques dizaines de personnes de tous âges remonte la rue centrale du village, à la merci des coups de crosse ou de bâton. Ce sont les familles juives du village, reconnaissables au brassard marqué de l’étoile de David porté autour du bras. Une femme quitte brusquement la colonne et tente de s’échapper. Elle est immédiatement abattue, afin de dissuader les autres de l’imiter. Saisis, dans une atmosphère d’angoisse palpable, les Juifs sont conduits près de la forêt. Contraints de se dévêtir dans le froid, de poser leurs vêtements sur une pile, ils approchent de la tranchée déjà creusée. Même ceux qui refusaient de se l’avouer comprennent qu’ils vont tous mourir. Une mère demande alors au tueur de commencer par son fils, ne supportant pas que le garçonnet assiste à son exécution.

Cette scène, dessinée de manière précise, réaliste, sans ostentation, s’est produite des milliers de fois, et les bourreaux eux-mêmes en relatent la mise en œuvre, comme le soldat Paul Hohn, à Berezino, en Biélorussie. Outre les Einsatzgruppen, des bataillons de police et des unités de la Wehrmacht opèrent également. Seuls diffèrent les lieux, la topographie et le nombre des victimes. Le dessinateur multiplie les regards : ceux des victimes qui comprennent qu’elles se voient pour la dernière fois, ceux des témoins qui assistent à la scène dans le village, ou derrière le carreau de leur fenêtre (dans le groupe qu’on emmène, un enfant juif voit que sa camarade polonaise, Maria, regarde), et enfin, celui des tueurs. Comment dessiner une scène de massacre qui respecte la vérité historique, sans adopter l’oeil voyeur des bourreaux ? Christophe Girard a choisi une palette sobre de tons bleus et gris, comme pour des images d’archives. Au fil des pages, toutes les vignettes représentant des événements de la période 1939-1945 sont dans ce nuancier. On suit, en plan serré, une famille, les seuls personnages dont on apprend les prénoms : Salomea, la mère, seule depuis que son mari Yankel a été dirigé dans le groupe des hommes, et ses enfants, Chaïm, un garçonnet et une fillette de quelques mois. Ils sont entourés d’hommes armés qui consomment régulièrement de l’alcool. Cette alcoolisation massive, documentée par les historiens, favorisait la désinhibition, le passage à l’acte, la violence.

La scène où l’on voit les victimes se déshabiller s’inspire d’une photographie prise en décembre 1941 lorsque les Juifs de Liepaja sont exécutés sur la plage de Šķēde, en Lettonie. Sur le dessin, à gauche, Szymon, un vieil homme, tient le bébé que Salomea lui a confié, tandis qu’elle se dévêt à côté de son fils, de plus en plus angoissé. Près d’eux, on distingue un adolescent de dos, en train d’ôter ses habits et une jeune femme assise sur un tas de vêtements, les bras repliés sur la poitrine, ultime geste de pudeur ou de honte pour cacher sa nudité. La photographie de 1941 représente Mia Epstein, âgée de 18 ans, son frère Max, 15 ans et leur mère Emma. Les couches multiples de vêtements indiquent qu’il fait froid ou que la famille en a emporté un certain nombre, en prévision du déplacement dans un autre ghetto ou dans un camp de travail. L’atmosphère de peur, d’humiliation visible sur la photo prise par les tueurs qui semblent se délecter de la terreur dans les yeux des victimes est édulcorée par le dessin, qui semble diminuer sa violence, alors qu’elle est cependant visible dans d’autres détails. Derrière les branches des arbres, une fillette assiste au massacre et voit les corps tomber dans la fosse. On est dans la concomitance de deux opérations, celle des Einsatzgruppen et celle de l’Aktion Reinhardt. S’appuyer sur des sources et archives photographiques permet ici de respecter une exigence de vérité.

Construire et diffuser un savoir

Après cette introduction, les auteurs font intervenir leurs personnages : le narrateur est un journaliste ; Ygal Fijalkow est universitaire et supervise les étudiants.

C’est Maria, la fillette derrière la fenêtre et qui assisté au massacre, dissimulée par les arbres, qui fait le lien. Des décennies plus tard, elle raconte ce qu’elle a vu lorsqu’elle avait une dizaine d’années. La vision de ce témoignage amène le journaliste à tenter de se remémorer ce qu’il a appris lorsqu’il était élève. Il suit des cours à l’université, questionne les représentations qu’on peut avoir sur la Shoah, en particulier la place d’Auschwitz ; il s’interroge sur ces témoignages, 80 ans après les faits, se documente à la bibliothèque. Ainsi, les vignettes des pages 11 à 14 décrivent les grandes étapes de la mise en œuvre du génocide en Pologne, présentent les responsables nazis, le rôle central d’Hitler, Himmler et Heydrich, ainsi que de plusieurs chefs SS dont Globocnik. Donneurs d’ordres, ni Hitler ni Himmler n’ont assisté à la réunion technique connue sous le nom de Conférence de Wannsee, où étaient par contre présents Heydrich et Eichmann.

Le journaliste échange également avec l’un de ses amis, professeur d’histoire-géographie dans un lycée, qui lui explique sa démarche orientée vers la micro-histoire, les écueils à éviter, l’évolution de l’enseignement, ainsi que ses réflexions sur les supports à montrer aux élèves tels que les films ou les livres. Il n’élude ni les éventuelles difficultés, ni l’émotion, voire l’indifférence, qui est parfois une façon de se protéger de la violence de ce qu’on étudie, ni les questions déroutantes des élèves. Insérer le cours dans une formation citoyenne, participer au Concours national de la résistance et de la déportation (CNRD) permettent une pédagogie de projet.

Par la suite, Ygal, professeur à l’université d’Albi, lui propose d’accompagner les étudiants en voyage d’étude en Pologne. Le groupe participe à un séminaire de terrain afin de comprendre comment l’association Yahad-In-Unum mène ses recherche et interroge des témoins de l’époque, afin de localiser les sites d’exécutions, un cursus extrêmement formateur. Aujourd’hui octogénaires ou nonagénaires, ces témoins sont des contemporains des crimes commis pendant la guerre. Toutes les pages retrouvent alors de la couleur, et dès que les témoins racontent ce qu’ils ont vu ou entendu, le dessinateur utilise à nouveau la palette grise des premières pages, mélange de la proximité voulue avec l’archive en noir et blanc, et de teintes annonçant la mort.

Au cours de ce voyage, au fil des interrogations du narrateur, de ses réflexions sur l’histoire, la mémoire, la morale, à travers les rencontres et les lieux parcourus par les étudiants, les auteurs mettent en évidence l’ampleur du génocide. Environ trois millions de Juifs vivaient dans ce Yiddishland et désormais, le vide, l’absence sont, en dehors des mémoriaux qui ont pu être érigés, les seules traces de leur anéantissement. L’étude de son histoire implique de rappeler que la Shoah s’est pour l’essentiel produite en dehors des camps, d’abord dans les ghettos (où des dizaines de milliers de personnes sont mortes avant le début des déportations), puis dans les ravins, forêts, dunes, clairières, sites des fusillades, et dans des centres de mises à mort conçus spécialement pour l’anéantissement des populations juives. Lors des fusillades, ce sont les tueurs qui se rendent sur les lieux où se trouvent leurs victimes ; lors des déportations, ce sont les victimes qui sont acheminées, par la voie ferroviaire, sur les lieux prévus pour leur assassinat immédiat.

Alternant les séquences en Pologne et en France, les auteurs balayent ainsi, à travers plusieurs exemples, l’histoire de l’extermination. Les enquêtes de terrain des étudiants ont lieu dans la région de Lublin (page 18 à 33), où ils interrogent deux témoins, qui les conduisent sur les lieux des massacres. Une octogénaire raconte que l’exécution a eu lieu dans un champ. De retour en France, le journaliste se documente sur cet immense complexe qu’est Auschwitz-Birkenau, et, dans un dialogue avec le professeur d’histoire-géographie, il questionne le tourisme de mémoire, et cette sorte de saturation dont Auschwitz est le théâtre. Aux vitrines pleines d’objets du musée s’oppose le vide de Birkenau, cette béance que le visiteur doit emplir avec de la connaissance, sous peine de ne rien comprendre à la réalité de l’immense espace dans lequel il déambule.

Les pages 38 à 45 sont consacrées à l’histoire du centre de mise à mort de Belzec, construit à partir de novembre 1941, dirigé par Christian Wirth, avec des SS et des Trawniki : là aussi, dans ce vide, il faut imaginer des trains de plusieurs dizaines de wagons avec des milliers de Juifs des ghettos du district de Varsovie, de Radom, de Lublin, ou encore de la ville de Przemysl. Un témoin raconte l’arrivée incessante des trains. De la descente du train jusqu’à la chambre à gaz, les Juifs sont confrontés à une brutalisation constante. Les corps des victimes gazées sont enterrés dans d’immenses fosses, avant que celles-ci ne soient ouvertes et leur contenu brûlé lors de l’Aktion 1005. Les gazages s’arrêtent en décembre 1942, et dès 1943, les infrastructures sont démantelées, le sol retourné et des arbres plantés. Le film de Guillaume Moskovitz, Belzec, montre ce vide, alors que l’ensemble du terrain entourant le mémorial est rempli de vestiges humains.

Chaque lieu d’exécution, de fusillade, est donc un cimetière qu’il faut localiser avec précision. Dans un autre passage, c’est le témoignage de Jozef : âgé de seize ans en 1942, il habitait une bourgade située à une cinquantaine de kilomètres de Lublin et avait été réquisitionné par les Allemands qui venaient de liquider la population juive en la fusillant sur la place. Avec d’autres civils, il a dû fouiller les vêtements et les sacs, récupérer les objets, charger les corps sur des chariots et les enterrer dans le cimetière. Chaque opération de mise à mort s’accompagne du dépouillement des victimes et d’une spoliation généralisée. En fonction du contexte, les objets étaient vendus aux enchères ou envoyés en Allemagne.

La Shoah, si lointaine, mais si proche

Dans un nouveau moment d’introspection, le narrateur réalise que la Shoah n’est pas qu’un processus lointain qui serait cantonné à l’Europe orientale, mais que de nombreuses traces se trouvent près de chez lui. Ainsi, dans le camp d’internement de Brens se trouvaient des juives nées en Pologne qui ont été déportées à Auschwitz-Birkenau par le convoi 30. Ériger un monument commémoratif n’est pas toujours aisé.

En Europe orientale, les témoins sont multiples et peuvent être catégorisés : le livre aborde avec sensibilité le cas des enfants et adolescents qui, allant ramasser du bois dans la forêt, ou faire paître le bétail, deviennent par hasard, témoins des massacres. Attirés par le bruit, la curiosité d’autres enfants les conduit à assister à des scènes qu’ils n’auraient jamais dû voir, qu’ils ont tenté d’enfouir au plus profond de leur mémoire, mais qui, des décennies plus tard, demeurent traumatisantes, comme l’assassinat d’enfants de leur âge, ou de leurs voisins avec lesquels ils avaient coutume de jouer. Quel jugement porter sur des adultes réquisitionnés sous la menace, contraints de creuser des fosses, de transporter des vêtements, de couper du bois, d’apporter de la nourriture pour les soldats ? Dans les bourgades et les zones rurales, une fois les Juifs regroupés, les exécutions ont lieu à l’écart, mais ne sont pas cachées. Tout le monde entend les tirs. La méthodologie de l’enquête doit permette de les faire témoigner sans culpabilisation.

D’autres passages sont consacrés au camp de concentration de Majdanek, à la périphérie de Lublin, au centre de mise à mort de Sobibor et au ghetto de Varsovie. La question des traces est abordée à travers l’action du groupe d’Emmanuel Ringelblum. Le cas de Varsovie est emblématique de la violence, de la rapidité et de l’ampleur du génocide : avant le début de la déportation, le 22 juillet 1942, il restait environ 350 000 Juifs, plusieurs milliers étant déjà morts depuis la mise en place du ghetto. En sept semaines, 250 000 personnes sont déportées et gazées à Treblinka, à raison de 5000 par jour. 10 000 ayant été abattues sur place, 11 000 envoyées dans des camps de travaux forcés, en septembre, il ne reste que 60 000 personnes, dont 25 000 cachées. Une fois l’Aktion terminée, les Juifs ne restent pas cachés systématiquement ; mais une nouvelle phase de déportation en janvier 1943, et l’insurrection d’avril les contraignent à se réfugier dans des caches, les caves et même les égouts.

Quels usages pédagogiques ?

Cette BD d’une grande qualité, qui devrait trouver sa place dans tous les CDI des collèges et des lycées, peut être utilisée en classe, associée à d’autres supports : pour les élèves de troisième, on peut prendre une série de plusieurs pages consacrée aux ghettos, ou à un convoi parti de France (page 66 à 73). En terminale, elle peut faire l’objet d’une lecture intégrale en cours d’histoire tronc commun et en spécialité histoire, géographie, géopolitique et sciences politiques (HGGSP), dans le cadre du thème Histoire et mémoires. L’objet de travail conclusif, intitulé L’histoire et les mémoires du génocide des Juifs et des Tsiganes comprend trois jalons, dont un consacré aux lieux de mémoire, et un traitant du génocide dans la littérature et le cinéma.

À la fin de l’ouvrage, l’historienne Marie Moutier-Bitan qui fut responsable des archives au sein de Yahad-In-Unum, propose une mise en contexte des fusillades de Juifs en Pologne. Michal Chojak, directeur de Yahad-In-Unum, présente la méthodologie d’enquête et de recueil de la parole des témoins. Beryslav est une bourgade ukrainienne de la région de Kherson où 400 Juifs ont été fusillés le 22 septembre 1942. Mykola, âgé de quinze ans à l’époque, raconte avoir assisté, depuis le cimetière, à leur exécution dans un ravin derrière les abattoirs de la ville. La trace du massacre a disparu du paysage, mais la carte interactive, la page dédiée à la documentation recueillie, le plan et la photo aérienne de Beryslav permettent de documenter, dans un espace où la nature a repris ses droits, l’histoire de ces exécutions et d’en conserver la mémoire.

Pour citer cet article

Christine Guimonnet, « « Je n’ai pas oublié… ». Histoires de la Shoah par balles, une bande dessinée de Pierre-Roland Saint-Dizier et Christophe Girard », RevueAlarmer, mis en ligne le 27 juillet 2024. https://revue.alarmer.org/je-nai-pas-oublie-histoires-de-la-shoah-par-balles/

Francs-tireurs et partisans – main d’œuvre immigrée : il s’agit d’unités de la résistance intérieure communiste, composées de militants étrangers, souvent juifs. Une des plus célèbres est celle commandée par Missak Manouchian.

Sur des dessins d’Efix, les textes de Tal Bruttmann et Antoine Grande racontent les mécanismes d’entrée en résistance et leur structuration politique et sociale, la répression menée par l’occupant allemand, l’engagement des étrangers, les persécutions exercées à l’encontre des Juifs, la collaboration française et le rôle du Mont-Valérien, principal lieu d’exécution où un millier d’hommes moururent fusillés entre mars 1941 et août 1944.

Un site internet accompagne cet ouvrage : Isidore & Simone, Juifs en Résistance.

« Ensemble en un » en hébreu et en latin. Cette association fondée en 2004 et dirigée par le Père Patrick Desbois localise les sites d’exécution de populations juives et roms en Europe orientale et recueille la paroles de témoins des fusillades.

Pour davantage d’informations concernant ce partenariat, voir Yahad-in-Unum – Héritage historique européen.

Les Juifs meurent de faim, sont décimés par les épidémies dans les ghettos, sont abattus en pleine rue par des SS qui exercent un contrôle par la terreur. Ils sont déportés vers les premiers centres de mise à mort que sont Chelmno (construit en décembre 1941), Belzec et Treblinka (construits en 1942 afin de mettre en place l’Aktion Reinhardt), où ils sont asphyxiés avec du monoxyde de carbone, soit dans des camions (Chelmno), soit dans des chambres à gaz alimentées par du gaz provenant de bouteilles ou par des moteurs de chars (Belzec, Treblinka).

Ce sont des unités spéciales de la Police de sécurité et du Service de sécurité du Reichsführer-SS (Sicherheitsdienst, SD) intervenant derrière les lignes allemandes. Appelées aussi unités de tuerie mobiles, elles mènent des opérations d’exécutions de masse visant des Juifs, Tsiganes, communistes et civils soviétiques.

Nom de code de l’attaque de l’URSS par les armées du Troisième Reich le 22 juin 1941.

Sous-division d’un Einsatzgruppe (commando d’intervention).

Unité spéciale, détachement d’un Einsatzgruppe composé d’Allemands et de supplétifs locaux.

Littéralement « libre de Juifs » ou « libéré des Juifs » (vocabulaire nazi).

Littéralement « purifié des Juifs » (vocabulaire nazi). Pour comprendre le vocabulaire nazi, lire l’ouvrage de Viktor Klemperer, LTI, la langue du Troisième Reich, Paris, Pocket, 2003.

Florent Brayard, La « solution finale de la question juive », Paris, Pluriel, 2003.

Götz Aly et Suzanne Heim, Les architectes de l’extermination, Paris, Calmann Lévy/Mémorial de la Shoah, 2008.

Christian Ingrao, La promesse de l’Est. Espérance nazie et génocide (1939-1945), Paris, Le Seuil, 2016.

La Schutzstaffel, littéralement « escadron de protection », a été créée en 1925. Se voulant l’élite du parti nazi et de la nation, d’abord garde rapprochée d’Hitler, elle est réorganisée par Himmler qui en fait le principal organe répressif du Reich. Elle devient un acteur majeur des politiques antijuives. Au sujet de la SS, voir notamment : Tal Bruttmann et Christophe Tarricone, Les mots de la Shoah, Paris, PUF, Que sais-je ? n° 4031, 2016.

Gouverneur général de Pologne.

Armée allemande créée en 1935 (en violation du traité de Versailles) et succédant à la Reichswehr. Son implication dans les violences et les massacres de masse est attestée.

Marie Moutier-Bitan , « Un soldat de la Wehrmacht face au massacre des populations juives en Biélorussie », Encyclopédie d’histoire numérique de l’Europe [en ligne], ISSN 2677-6588, mis en ligne le 30/06/22.

Jean Solchany, « Des hauts responsables aux hommes ordinaires : anatomie de la « solution finale » », Revue d’histoire moderne et contemporaine, t. 42, n° 3, Juillet-septembre 1995, p. 481-486.

« « Il n’y a qu’une seule solution pour les Juifs : l’extermination ». L’image du Juif dans les lettres de soldats allemands (1939-1944) », Revue d’Histoire de la Shoah, vol. 187, n° 2, 2007, p. 13-58.

Jürgen Matthäus, « 14. L’éducation de la SS et de la police à la « vision du monde » dans la guerre d’extermination contre l’Union soviétique », Revue d’Histoire de la Shoah, vol. 209, n° 2, 2018, p. 309-329.

Les auteurs signalent dans une note page 22 s’être inspirés d’une photographie, pour représenter le groupe de femmes en sous-vêtements en bas à gauche de la page (voir note infra). Le photographe allemand les a contraintes à poser, ajoutant une violence supplémentaire.

Nom de code du plan allemand d’extermination d’environ deux millions de Juifs qui résidaient dans le Gouvernement général de Pologne ( le nom de la partie du territoire de Pologne occupée par l’Allemagne — non annexée directement à l’Allemagne — mais rattachée à la Prusse orientale allemande, ou intégrée à l’Union Soviétique occupée par l’Allemagne).

On pourra, par exemple, s’appuyer sur les photographies du massacre sur la plage de Šķēde des Juifs de Liepāja (Libau, en Lettonie), ici présentées par Gilles Karmasyn, créateur et responsable du site de lutte contre le racisme et le négationnisme Pratique de l’histoire et dévoiements négationnistes.

Heinrich Himmler (1900-1945) est Reichsführer-SS et ministre de l’Intérieur du Reich.

Reinhardt Heydrich (1904-1942) : bras droit d’Heinrich Himmler, il dirige le Reichssicherheitshauptamt (RSHA, c’est-à-dire l’Office central de la sécurité du Reich), fusion du Sicherheitsdienst (SD, ou service de sécurité du Reich) et de la Sicherheitspolizei (SiPo, ou police de sûreté). Il est « vice-gouverneur » du Reich en Bohême-Moravie. Cible d’un attentat préparé par la résistance tchécoslovaque, il meurt le 4 juin 1942. Les représailles sont terribles dans la région de Lidice et de Lezaky.

Odilo Globocnik (1904-1945), SS und Polizeiführer du district de Lublin, joue un rôle essentiel dans la mise en œuvre des politiques nazies dans la région.

1 On notera que des films comme Nuit et Brouillard et Le vieux fusil ne sont pas des représentations de la Shoah, même s’ils montrent chacun à leur manière la violence nazie. Des images trop violentes peuvent parfois provoquer un effet de sidération qui paralyse la réflexion et doivent être utilisées avec précaution, en particulier au collège.

Pour plus d’informations à ce sujet, consulter :Concours national de la résistance et de la déportation.

Territoire comprenant la Pologne, la Lituanie, la Biélorussie, la Moldavie et l’Ukraine, avec une présence juive importante et l’usage de la langue yiddish. Sur le yiddish et la Yiddishkeit, voir notamment : Ytzshok Niborski, « Yiddish, Yiddishkeit », Vacarme, vol. 7, n° 1, 1999, p. 117-119 ; ou Rachel Ertel, Dans la langue de personne. Poésie yiddish de l’anéantissement, Paris, Le Seuil, 1993, et Brasier de mots, Paris, Liana Levi, 2003. On peut aussi se reporter à l’ouvrage de Gérard Silvain et Henri Minczelès, Yiddishland, Paris, Hazan, 1999. On pourra aussi écouter le podcast de France Culture : « Yiddishland », le pays des poètes.

Christian Wirth (1885-1944), SS Sturmbannführer, inspecteur général des instituts d’euthanasie (Programme T4), puis responsable du camp de Belzec. À ce sujet, voir notamment : Ayşe Sıla Çehreli, « Les exécuteurs de l’Aktion Reinhardt : les SS-Sonderkommandos de Belzec, Sobibor et Treblinka », Revue d’Histoire de la Shoah, vol. 197, n° 2, 2012, p. 283-316.

Les nazis n’auraient guère pu mettre en œuvre leur « Solution finale de la question juive » sans l’assistance d’auxiliaires allemands de souche ou non allemands. L’un des programmes destinés à encourager cette assistance fut la création d’une force de police auxiliaire inhabituelle au camp de formation de Trawniki (Ausbildungslager Trawniki). Sous la direction du chef de la SS et de la police (SSPF) du district de Lublin dans le Gouvernement général, le camp de formation de Trawniki fit partie intégrante d’une étape déterminante de la Shoah, l’Aktion Reinhardt. À ce sujet, voir notamment : Peter Black, « Les fantassins de la « Solution finale » : le camp de formation de Trawniki et l’Aktion Reinhardt », Revue d’Histoire de la Shoah, vol. 197, n° 2, 2012, p. 337-401.

Opération à grande échelle mise en application pour détruire les corps des Juifs, effacer les meurtres de masse commis par les Einsatzgruppen et confiée à des commandos placés sous la tutelle de Paul Blobel.

Götz Aly, Comment Hitler a acheté les Allemands, Paris, Flammarion, 2005. Pour une discussion critique de cet ouvrage, voir : Dreyfus, Jean-Marc. « Hitler a-t-il acheté les Allemands ? », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, vol. no 93, n° 1, 2007, p. 93-99.

Davantage d’informations concernant l’histoire de ce camp sont disponibles sur le site de l’Association Camp de Brens : histoire et mémoires.

Tomasz Kranz, « L’extermination des Juifs dans le camp de concentration de Majdanek », Revue d’Histoire de la Shoah, vol. 197, n° 2, 2012, p. 179-243.

« Témoignage d’Eda Lichtman, rescapée de Sobibor », Revue d’Histoire de la Shoah, vol. 196, n° 1, 2012, p. 97-111.

Emmanuel Ringelblum (1900-1944) a coordonné le travail de collecte des archives recueillies dans le ghetto de Varsovie par le groupe Oyneg Shabbat. Son journal, Chronique du ghetto de Varsovie, documente l’histoire du ghetto jusqu’au soulèvement du printemps 1943. Il reste de longs mois caché avec sa famille. Dénoncé, puis emprisonné, il est assassiné le 7 mars 1944 avec d’autres Juifs et les Polonais qui les abritaient.

Michal Gans, « « Une année à Treblinka » de Jankiel Wiernik. Pour une relecture de la place du témoin en histoire », Revue d’Histoire de la Shoah, vol. 197, n° 2, 2012, p. 519-553.

Autrice des ouvrages Les champs de la Shoah. L’extermination des Juifs en Union soviétique occupée (1941-1944), Paris, Passés composés, 2020 et Le Pacte antisémite. Le début de la Shoah en Galicie orientale (juin-juillet 1941), Ibid., 2023.

Cette carte, établie par Yahad-In-Unum, peut être consultée à l’adresse suivante : The Map of Holocaust.

Cette documentation est disponible à l’adresse suivante : Execution of Jews in Beryslav.

Ce plan et cette photo peuvent être consultés à l’adresse suivante : Execution sites in Beryslav.

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